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L'Exclusion au cinéma : le cas d'Agnès Varda Nathalie Rachlin Scripps College Comment représenter la souffrance d'un autre ? Comment la mettre en images ? Comment rendre visible et publique une expérience qui est avant tout intérieure et privée ? A-t-on seulement le droit de représenter une souffrance qu'on n'éprouve pas soi-même ? Et si le droit de représenter la souffrance de l'autre existe, dans quelles circonstances et à quelles fins peuton l'exercer ? Suffit-il de constater la souffrance humaine ? Ne faut-il pas aussi la dénoncer ? Ou bien est-ce que toute image de la souffrance, par son existence même, constitue en soi une protestation et un appel à la compassion et à l'aide1 ? Telles sont les questions à la fois esthétiques, éthiques, mais aussi politiques qui se posent aux photographes ou cinéastes qui entreprennent de traiter un sujet douloureux. Leurs réponses à ces questions difficiles se fait implicitement à travers les nombreux choix que les artistes sont amenés à faire dans la production de leurs images : choix des acteurs, du scénario, de la distance, du plan, de l'éclairage, du cadrage, de la prise de vue, du moment et du lieu de tournage, du découpage, du montage, etc. Agnès Varda a appelé « cinécriture » l'ensemble des choix et des intuitions qui, de l'avant tournage jusqu'à la fin du montage, définissent le style d'un cinéaste . Reprenant la définition de Varda à notre compte, nous pouvons conclure que c'est par leur « cinécriture » que les cinéastes répondent à notre question initiale : comment représenter la souffrance de l'autre ? Agnès Varda a réalisé deux films, Sans toit ni loi (sorti en 1985) et Les Glaneurs et la glaneuse (sorti en 2000), qui explorent à quinze ans d'intervalle la même souffrance sociale à qui on a donné au fil du temps plusieurs noms : la marginalité, la pauvreté, la précarité, l'exclusion. Par quelle « cinécriture » Varda a-t-elle choisi de représenter cette nouvelle souffrance sociale et dans quels buts ? Le premier film, Sans toit ni loi est un film de fiction. Varda y fait le portrait de Mona (jouée par Sandrine Bonnaire), une jeune vagabonde qui L'EXCLUSION AU CINEMA : LE CAS D'AGNES VARDA89 dans la toute première scène du film est retrouvée morte de froid dans un fossé. A partir des témoignages des gens qu'elle a rencontrés au cours de ces errances dans la campagne gardoise, le film reconstruit les dernières semaines de la vagabonde. Or ces personnages qui parlent de Mona tout au long du film ne sont pas joués par des acteurs professionnels mais par des gens du Gard et de l'Hérault recrutés par Varda lors du repérage du film et auxquels elle a donné un script. Ce script, nous dit Varda dans Varda par Agnès, n'a été écrit « qu'après avoir fait comme si je préparais un documentaire sur eux et sur ce qu'ils auraient eux-mêmes pensé ou dit, après avoir observé comment ils se comportaient » (158). Aussi, pour documenter une catégorie sociale que l'on appelait dans les années quatre-vingt les« nouveaux pauvres », Varda a-t-elle fait le choix de situer son film à la frontière entre fiction et documentaire. Dans Varda par Agnès, la cinéaste nous dit en effet que Sans toit ni loi est une fiction, une fiction méchamment réelle, où j'ai utilisé, de façon documentaire, des gens du Gard. Mona est un personnage senti et joué par Sandrine Bonnaire avec intensité, mais elle est documentée par des gens que j'avais croisés, des routards pris en stop, dont une ramenée à la maison. (158) Or, malgré le parti pris documentaire de Sans toi ni loi, malgré une« cinécriture » qui fait du film une « fiction méchamment réelle », le personnage central, Mona, reste jusqu'au bout une énigme pour le spectateur : nous ne savons pas d'où elle vient...

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