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  • Vulnérabilités sanitaires et sociales
  • Axelle Brodiez-Dolino*

La « vulnérabilité » : un terme peu usité des historiens. Repris de la médecine, de la psychiatrie et de la gérontologie – où il a ensuite davantage percé sous son synonyme de « fragilité » –, il s’est aussi imposé en économie, en statistique et en expertise sur le développement 1 ; il gagne depuis les années 1990–2000 les sciences humaines et sociales et même le droit commence à en faire usage. Il a envahi les discours politiques et médiatiques. En histoire pourtant la notion reste encore absente2. De fait, elle s’apparente plutôt, au premier regard, à un nouvel avatar terminologique. On sait combien les mots utilisés pour désigner les personnes en difficulté sociale n’ont cessé d’évoluer : « indigents » et « pauvres » (XIXe-premier XXe siècle), « économiquement faibles » (années 1940–1950), « marginaux » (années 1960–1970), « précaires » (années 1980), « exclus » (années 1990)... Derrière chaque terminologie se cachent des réalités datées, des acceptions différentes et des usages par des acteurs différenciés. Dès lors, que faire ici du terme de vulnérabilité ? Faut-il se l’approprier en histoire, au-delà de l’effet de mode ?

Peut-être, si l’on considère que cette succession de termes renvoie d’abord à une volonté de mieux penser les réalités sociales. Si le mot « pauvreté » a sans doute l’avantage d’être le plus clair dans les représentations communes, il n’en pose pas moins un problème majeur, celui de la définition des seuils. Si la pauvreté a d’abord été envisagée dans sa dimension absolue et quantitative, avec la recherche de seuils au-dessous desquels une personne ne peut plus assurer son entretien et sa subsistance, on lui a ensuite préféré une acception relative et plus qualitative, pour pallier la considérable variation des seuils d’une période et d’un pays à l’autre. En outre, la mise en place de filets de plus en plus denses de protection sociale et d’assistance, tout comme la prospérité économique des Trente glorieuses, ont fait sensiblement reculer, en France, les situations de pauvreté absolue. Se sont dès lors imposées, dans les années 1960 et 1970, des terminologies plus qualitatives, au premier rang desquelles celle de [End Page 3] « marginalité », choisie ou subie, traduisant autant la difficulté conjoncturelle à traiter de la pauvreté que la volonté de repenser la société à partir de ses marges 3. Les termes d’ « inadaptation » et d’ « exclusion » sont apparus de façon concomitante : le second a été consacré en 1974 par l’ouvrage à large écho de René Lenoir 4, secrétaire d’État à l’Action sociale, pour désigner pêle-mêle les handicapés physiques et mentaux, les personnes âgées invalides et la « frange [en extension] des marginaux » 5 : alcooliques, drogués, névrosés, délinquants… Significativement, la crise économique et sociale ancrée depuis la fin des années 1970 a engendré un bref retour à des conceptions plus économiques (« pauvreté-précarité », « nouveaux pauvres »), mais avec une volonté de repenser la condition des plus démunis au prisme de la diversité de difficultés rencontrées (santé, logement, formation et emploi, lutte contre l’illettrisme, accès aux loisirs et à la culture, etc.) et de leurs possibilités d’insertion ou de réinsertion 6. La prolongation de la crise et de ses effets délétères ont abouti dans les années 1990 à des terminologies axées sur le lien social (« exclusion », « désaffiliation », « disqualification »…), où la « vulnérabilité » et la « fragilité » ont d’abord été un degré de bascule entre l’intégration et la marginalisation. Depuis les années 2000 toutefois, des sociologues s’attachent à solidifier cette notion de « vulnérabilité » utilisée à tout-va, en en faisant une caractéristique anthropologique et universelle (tout individu est potentiellement vulnérable) devenue, avec la post-modernité, « endogène aux caractéristiques du système social » 7.

Stricto sensu, ce dernier trait – une notion propre à la post-modernité – serait donc un obstacle...

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