In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Reviewed by:
  • Failles by Yanick Lahens
  • Francisco Aiello
Lahens, Yanick. Failles. Montréal: Sabine Wespieser Éditeur, 2010. ISBN 978248050904. 160 p.

Lorsqu’une tragédie bouleverse dramatiquement la vie d’un peuple, la place de l’écriture semble remise en question. Face à la mort qui est présente d’une manière constante sous les yeux de n’importe qui, l’activité intellectuelle peut paraître banale, voire égoïste. Pourtant on en a bien besoin, étant donné que c’est justement dans ces situations atroces, comme le tremblement de terre ayant eu lieu en Haïti le 12 janvier 2010, que l’on cherche à comprendre, ce qui requiert une profonde réflexion capable d’englober la réalité d’un regard plus vaste, saisissant le rapport entre la façon dont on vit un événement tragique et les conditions sociohistoriques. Failles, le récit de l’écrivaine haïtienne résidant à Port-au-Prince Yanick Lahens, propose cette approche complexe comme témoin direct du séisme, mais aussi comme intellectuelle qui essaie d’établir des liens entre la suite de cette tragédie et certains traits de son pays. [End Page 246]

Au commencement de l’ouvrage, on trouve une description subjective de Port-au-Prince qui garde un air connu pour les lecteurs de La Couleur de l’aube, le roman que Lahens a publié en 2008 chez Sabine Wespieser. En effet, tout au long de Failles, il y a des autocitations qui permettent de reprendre des images ou des idées afin de les développer ou de leur attribuer une nouvelle signification dans un contexte altéré. Cependant, dans ce premier chapitre, l’intertextualité n’est pas explicite; il s’agit d’une reprise des extraits du roman sans le préciser, y introduisant des variations très significatives. Si dans La Couleur de l’aube on lisait “À cause de cette façon qu’elle a de me prendre et de ne pas me lâcher” (71), dans Failles la phrase devient “À cause de cette façon qu’elle avait de nous tenir de ne pas nous lâcher” (12). On constate tout de suite la transformation de la première personne du singulier à celle du pluriel dans les pronoms personnels, ce qui révèle une volonté chez l’auteure de faire partie du collectif, rapprochant l’écriture du vécu du peuple. Encore est-il possible de remarquer le changement dans les temps verbaux (a/avait): le tremblement de terre a modifié l’espace urbain à tel point que sa description devient inactuelle et, alors, il faut la mettre au passé.

Parmi les conséquences du tremblement de terre, Lahens voit sa bibliothèque sens dessus dessous, mais sa remise en ordre ne se présente pas comme une priorité. Néanmoins, les livres vont retrouver leur place sur les étagères, mais aussi dans le texte propre, à travers des citations et commentaires conduisant vers une réflexion sur Haïti. Par exemple, dans le chapitre 16, on assiste à une explication du conflit installé dans la société haïtienne entre “ceux qui ont” et “ce qui n’ont pas,” que l’auteure aborde en s’appuyant sur des travaux sociologiques et anthropologiques. Ces disciplines, grâce aux ouvrages de Jean Casimir et de Gérard Barthélémy, lui offrent les termes “Bossales”–généralement noirs—et “Créoles”–mulâtres pour la plupart–, lesquels donnent à l’argumentation une rigueur qui dépasse le commentaire pressé. Est également intéressant le chapitre cinq où Lahens présente des propos aigus sur l’idée de déni en tant que composante de la culture quotidienne d’Haïti, ce qui conduit le texte vers un bilan négatif en ce qui concerne l’État-nation, le cas haïtien étant considéré, depuis son indépendance au début du dix-neuvième siècle, comme emblème des relations Nord-Sud.

Un autre sujet très sensible, dont s’occupe Lahens, touche les relations historiquement conflictuelles avec la République dominicaine, État partageant l’île. On apprend que le président dominicain Leonel Fernández arrive à Port-au-Prince le...

pdf