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Reviewed by:
  • La Quête infinie de l’autre rive by Sylvie Kande
  • El Hadji Malick Ndiaye
Kandé, Sylvie. La Quête infinie de l’autre rive. Coll. Continents noirs. Paris: Gallimard, 2011. ISBN 9782070132119. 107 p.

Après Lagon, Lagunes,1 Sylvie Kandé publie chez le même éditeur La Quête infinie de l’autre rive, un ouvrage qui illustre encore une fois l’aventure sémiotique que constitue la démarche d’écriture chez Kandé. Ce récit poétique se pose comme un pur joyau esthétique en même temps qu’il soulève des problématiques éthiques et historiques en cours dans l’espace francophone et ailleurs. Ainsi, le lecteur peut se caler dans les pas d’une auteure décidée à mettre à distance la poétique de la fixité ou alors à explorer les champs des possibles littéraires et sociaux qui se déploient dans son parcours. L’ouvrage est dédié à Joseph Ki-Zerbo, un des grands historiens africains. Sylvie Kandé elle-même est historienne. Et l’Histoire est la matière première de cette épopée en trois chants dont l’identification générique n’est qu’une concession aux principes éditoriaux. Fiction ou chronique revisitée? La Quête infinie de l’autre rive part du rappel d’un fait semble-t-il historique longtemps resté sourd, mais que certains chercheurs issus de ce champ comme Pathé Diagne2 interrogent tout de même. C’est le fameux voyage d’Aboubakar II qui, vers 1311, partit des côtes africaines pour tester les limites de l’océan. Bien qu’apocryphe, ce récit rapporté par des chroniqueurs arabes dont Al Umari (Masalik el Absar fi mamalik el Amsar)3 rappelle que les grandes explorations transatlantiques ont aussi existé dans l’imaginaire africain. On sait qu’Aboubakar II ne revint jamais de ce voyage. A-t-il péri en mer? A-t-il jeté les fondements d’une colonie africaine précolombienne? C’est à l’imagination du réel historique qu’invite La Quête infinie de l’autre rive. Les deux premiers chants décrivent l’expédition avec des fortunes diverses. Échec ou réussite, la notion est fuyante, puisque le succès de l’entreprise ne se mesure pas [End Page 243] à l’aune des nœuds parcourus ou des rives accostées. Ce à quoi le lecteur est sensibilisé, c’est la communauté de destin des équipages et leur égale condition face à l’immensité de l’océan, c’est aussi la confrontation d’une subjectivité collective avec un univers aux antipodes de son quotidien. Comment un peuple de la terre comme celui du Mali impérial appréhende l’existence en haute mer? Le récit de Kandé se substitue admirablement aux “finas” et aux “djeli” (griots mandingues) qui en “leurs conciliabules se sont prononcés pour l’amnésie” (25). Il se substitue aussi à l’histoire officielle des Amériques lorsqu’il rapporte que “Kalira le jaguar maria Kafuma la gente dame aux mains bien paumées” suggérant le pacte unissant l’Afrique et le monde outre-Atlantique “avant même que d’avoir connu leurs noms” (80–81).

La perspective du troisième chant est différente dans la mesure où l’ancrage spatio-temporel est partiellement bouleversé. On reste en mer car il s’agit de l’espace référentiel. Mais à la flotte impériale qui attaqua l’horizon dans une ligne parallèle à l’équateur, succède une pirogue d’aventuriers clandestins à l’assaut de l’Europe contemporaine. Cette dernière partie brûlante d’actualité nous rappelle le drame de l’immigration clandestine et interroge sur la symbolique même de l’exploration maritime, hier et aujourd’hui. Là où l’explorateur d’hier devait s’attaquer et vaincre les frontières naturelles, l’explorateur contemporain doit y ajouter les frontières, artificielles, idéologiques, économiques, politiques. Finalement, la fabrique de l’humain n’est-elle pas cet infini océan qu’il n’habite pas, mais où, paradoxalement, il atteint toute sa vérité, sans la couleur, sans le sexe, sans le rang social...

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