In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

  • Entretien avec Gisèle PineauRéflexions sur une œuvre ancrée dans une société mondialisée
  • Florence Ramond Jurney (bio)

Gisèle Pineau, écrivaine guadeloupéenne publiée depuis 1988, se trouve aujourd’hui à un moment particulièrement intéressant de sa carrière.1 Ayant en effet dépassé ses premiers romans et la “naïveté” de ses premiers personnages, Gisèle Pineau s’attaque aujourd’hui à des questions plus globales qu’il s’agisse de Morne Câpresse (2008) où pointe une critique des idéalistes manipulateurs qui dirigent parfois des pays entiers,2 ou son dernier livre qui pose la question du devenir féminin dans une société où le nucléus familial est non seulement détruit mais aussi institutionnalisé comme tel.3 Elle a donc mûri comme elle le suggère elle-même dans cet entretien.

Notre rencontre a eu lieu les 5 et 6 août 2011 sur l’île de Marie-Galante, au lendemain du passage du cyclone Emily, qui, heureusement, n’avait pas fait de dégâts en Guadeloupe, mais qui était présent dans l’esprit de l’auteure. Gisèle Pineau s’est montrée particulièrement généreuse qu’il s’agisse de son accueil chaleureux dans “sa petite case de bois rouge” où elle m’a offert du jus de goyave frais de son jardin, ou encore du temps qu’elle m’a accordé et qui est, j’en suis consciente, toujours volé à l’écriture.

Avec cet entretien, j’ai voulu créer une sorte de dialogue entre l’analyse critique de certains thèmes soulevés par les articles de ce dossier spécial et les pensées de l’auteur sur ces mêmes thèmes. Dans un premier temps, Gisèle Pineau se place selon ses propres mots dans une tradition littéraire caribéenne et décrit sa position par rapport à certains courants idéologiques. Elle parle ensuite des mouvements (géographiques et intimes) qui régissent ses œuvres, de l’expression [End Page 107] féminine de l’oralité, la mise au silence et le rôle de l’écriture, de la folie, la violence, et enfin de l’inscription de cette violence sur l’île elle-même. Malgré les sujets difficiles soulevés ici, notre conversation s’est inscrite sous le signe de l’espérance, car “même s’il y a un cyclone qui passe et qui va détruire, ça va repousser encore après.”

q:

Pour commencer notre conversation, pourriez-vous parler un peu de votre trajectoire en tant qu’écrivaine et de ce qui vous ancre dans ce monde de l’écriture?

r:

J’ai commencé à écrire quand j’avais sept ans. Autant que je me souvienne, j’ai toujours écrit et j’ai toujours lu. Toute ma vie, j’ai été dans les livres ou les dictionnaires, avec les mots . . . à chercher pour avoir du vocabulaire. C’est l’amour des mots, leur passion, leur folie qui m’a toujours poussée. Alors pourquoi écrire? En fait, je crois que l’écriture c’est quelque chose qui a été pour moi une bouée de sauvetage. L’écriture est arrivée dans ma vie peutêtre pour me consoler du quotidien que j’avais, me consoler de cette vie qui est quand même assez . . .

q:

Dure, oui . . . On pense à L’Exil selon Julia (1996) et au racisme quand vous étiez enfant.

r:

Le racisme, la solitude, les idées noires quand on est enfant et qu’on a envie de mourir, par exemple, parce que c’est ce qui m’arrivait. Avec des enfants blancs tout autour qui vous traitent de mouton noir, qui ne veulent pas vous fréquenter uniquement parce que vous êtes noire . . . Et puis au sein même de ma famille, beaucoup de difficultés, de souffrance aussi: l’étouffement, l’angoisse de situations dramatiques, pathétiques, de situations de très grande violence que je ne raconte pas du tout dans L’Exil selon Julia, avec un père qui a un certain comportement avec ses filles . . . Avec ma sœur en particulier...

pdf