In lieu of an abstract, here is a brief excerpt of the content:

Moudileno121 Entretien Moi, Maryse Condé, libre d'être moi-même.. . Martha's Vineyard, Massachusetts, 9 juin 2002 Propos recueillis par Lydie Moudileno Lydie Moudileno : Lorsqu 'on pense aux représentations de sorcières dans la littérature contemporaine, votre roman Moi, Tituba sorcière. . . Noire de Salem, publié en 1986, vient tout de suite à l 'esprit. Dans ce roman vous avez réinventé l 'histoire, au départ réelle, de cette esclave venue de la Barbade qui est accusée de sorcellerie et qui sera jugée, comme beaucoup d'autres femmes, lors des célèbres procès de Salem aux Etats-Unis, en 1693. Là où Tituba est différente, c'est qu'en plus d'êtrefemme et sorcière, elle est noire. Comment concevezvous le rapport entre ces trois termes extrêmement chargés ? Maryse Condé : Il y a un rapport étroit entre la femme, quelle que soit sa couleur, et la sorcière. Pendant tout le Moyen-Age, en Europe, on a brûlé, pendu, exécuté des femmes parce qu'elles étaient soupçonnées de sorcellerie. En Afrique, dans la tradition orale, on pense toujours que la femme est une espèce de danger qui doit être dominé, contrôlé constamment. L'assimilation femme/sorcière est banale, courante. La femme noire, celle qui incarne le plus le danger, le péché, le cannibalisme, paraît encore plus sorcière que la femme blanche. Il ne s'agit pas d'une anomalie. C'est le sexe féminin que l'homme et la société en général redoutent. Regardez toutes les précautions que l'on prend pour contrôler la femme, comme l'enfermer dans le ghetto de la maternité. Car on a peur que, si elle s'intéresse à autre chose qu'à son ventre, elle instaure le désordre. LM : Le fait que Tituba soit d'origine antillaise ne la rend donc pas plus sorcière niplus victime que d'autres ? MC : Toutes les femmes sont des victimes. Qu'elle soit de la Barbade, comme Tituba, africaine ou européenne, la femme est toujours une victime. On lui impose toujours un modèle. Quand elle est esclave, elle est d'autant plus victime, d'autant plus soumise et dépendante. Tituba est un cas extrême de la domination de la société sur la femme. Dans mon roman, ce n'est pas que Tituba soit plus sorcière que d'autres. Au contraire, elle fait un effort pour refuser cette image négative. Pour montrer qu'elle fait surtout du bien. Elle lutte contre une vision qui lui paraît fausse. 1 22Women in French Studies LM : Cette vision de la « sorcière », dans le sens péjoratif lesfemmes ellesm êmes lapartagent-elles ? MC : La construction de la société est de toute façon dominée par les hommes, qui ont peur de ne pas pouvoir contrôler, peur de toute cette force qui leur échappe. Du coup, les femmes ont du mal à assumer un rôle autonome. Mais les femmes aussi ont peur. Elles peuvent, par exemple, prendre une insulte contre tout leur sexe... LM : Dans quel sens est-ce que vous parlez du cannibalisme de lafemme ? MC : J'utilise le mot parce que je suis antillaise et que nous sommes, en principe, descendants des cannibales. Christophe Colomb a découvert des peuples qui étaient des cannibales. On est passé de Carib à cannibale. Je vous renvoie pour ça à Edouard Glissant. Le « cannibale » est revendiqué comme l'ancêtre littéraire. Mais je n'ai pas l'impression que ce soit valable pour le monde africain. C'est plutôt un ancêtre américain. On a, dès 1928, Le Manifeste cannibale du brésilien Andrade. Et Suzanne Césaire, en Martinique, qui écrit en 1 942 que « La poésie antillaise sera cannibale ou ne sera pas ». LM : Dans le contextefrançais, on constate très tôt un amalgame entre « sagefemme » et « sorcière », quifinissent par devenir synonymes. Qu 'en est-il aux Antilles ? Existe-t-il une assimilation linguistique ou sociale similaire ? MC : La sage-femme a une aura un peu myst...

pdf

Share