La littérature jeunesse en France : entre imaginaire et commerce

En l'espace de cinq ans, la France a vu croître les publications sur la littérature jeunesse. De nombreux livres paraissent chaque année avec pour tâche de définir, analyser et développer le sujet, mais également de le faire reconnaître comme littérature digne de ce nom, une idée encore relativement fraîche dans le milieu académique.

Quelle est donc cette littérature qui fait tant parler d'elle ? La littérature jeunesse est souvent qualifiée d'intermédiaire, de mutable, ou même d'hybride. On parle volontiers d'un monde à part de l'enfance dont la littérature aurait pour tâche de retranscrire les multiples univers. Or, les mondes de cette dernière sont indéfinis dans leur structure. Ils s'entrelacent et représentent un infini du possible dont les marges semblent bien difficiles à délimiter. Dans leurs tentatives critiques sur la littérature jeunesse les auteurs adoptent donc naturellement des approches diverses, de la psychologie à l'étude de marché en passant par la didactique. La démarche classique se veut ludique et professorale, mais laisse parfois de côté une étude approfondie du rapport enfant-imaginaire ou la prise en compte du commerce florissant de l'enfance en général. Deux travaux publiés en 2011 ont néanmoins fait le pari de déroger à cette règle tacite qui veut que littérature jeunesse soit souvent synonyme d'apprentissage scolaire, pour mieux engager le sujet d'un point de vue psychanalytique pour Le Livre en analyse : Chroniques de littérature jeunesse d'Annie Rolland (aux éditions Thierry Magnier) et de l'angle du milieu éditorial pour Les Livres pour la jeunesse : Entre édition et littérature de Bertrand Ferrier (aux éditions Presses Universitaires de Rennes). S'étant succédées à quelques mois d'intervalle, les analyses de Roland et de Ferrier apportent une lumière intéressante sur la littérature jeunesse.

En partenariat avec l'écrivain-illustrateur Étienne Delessert, Annie Roland, psychologue clinicienne et maître de conférences en psychologie clinique et pathologique à l'université de Rennes, a écrit douze chroniques sur la littérature jeunesse, des albums de la petite enfance aux romans pour adolescents. Elle offre au lecteur des réflexions pertinentes sur le rêve, la maison, la vie, la mort, le corps imaginé et ses secrets, les possibles et l'impossible. Avec une grande clarté, quelques pointes d'humour et une véritable poésie d'écriture, Rolland guide passionnés et profanes au travers de questions sur l'apport de la littérature à l'être humain et vice versa. Agrémentés d'exemples réels issus de consultations psychothérapeutiques d'adolescents, les douze chapitres du livre interrogent les grandes problématiques actuelles liées à la jeunesse : le genre (au sens anglais de « gender »), le désir, l'idée d'appartenance ou de non-appartenance, voire d'exclusion (qu'elle soit intérieure ou extérieure), les concepts de folie ou de normalité, et ne craint pas d'aborder les thèmes qui dérangent (sexualité des handicapés, violences familiales, etc.). De multiples références sont faites aux grands noms de la psychanalyse et de la critique littéraire, avec notamment Bettelheim, Winnicott, Freud ou Kristeva, pour n'en citer que quelques-uns, mais toujours avec un souci d'intelligibilité et d'accessibilité louable. On pressent très fortement, par-delà les chroniques, une invitation à la lecture de l'enfant comme de l'adulte, et Rolland évoque des albums et des romans jeunesse sans jamais en dévoiler entièrement l'intrigue, réussissant ainsi un joli tour de main critique et néanmoins attrayant.

Parmi les thèmes forts, on retiendra la relation très étroite qu'entretiennent texte et image dans la littérature jeunesse. Paul Faucher, le fondateur des éditions du Père Castor...