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  • De l’intégration au dépouillement: Thomas de Celano et sa réception de quelques thèmes d’Hugues de Saint-Victor
  • Dominique Poirel (bio)

Pourquoi les maîtres de Saint-Victor, en particulier Hugues, Richard et, dans une moindre mesure, Thomas Gallus, ontils exercé une si vive influence sur les docteurs franciscains du xiiie siècle, Alexandre de Hales, Bonaventure, Guillaume de la Mare, Jean Pecham, Matthieu d’Acquasparta et tant d’autres?1 A coup sûr, une première explication réside dans la somme dite d’Alexandre de Hales, qui se distingue précisément par son effort pour verser dans les débats contemporains des sources nouvelles, tirées non seulement de la Bible, des Pères et des philosophes, mais encore de toute la tradition médiévale, y compris la plus récente.2 Une large place est ainsi faite aux auteurs de l’école de Saint-Victor, en particulier au De sacramentis d’Hugues et au De Trinitate de Richard.3 Toutefois, cette Summa fratris Alexandri soulève à son tour de nombreuses questions: quel rôle Alexandre de [End Page 341] Hales at-il joué dans sa rédaction?4 S’il fut son auteur principal, pourquoi cite-t-elle si souvent les maîtres victorins, alors que lui-même, avant son entrée chez les frères mineurs, leur accorde si peu de place dans ses écrits?5 En sens inverse, si l’essentiel de la Summa doit être restitué à ses disciples, pourquoi ceux-ci ont-ils fait le choix d’y introduire en si grand nombre des extraits d’Hugues et de Richard? On le voit, l’explication par la Summa fratris Alexandri ne fait que déplacer notre interrogation, en l’amplifiant et en la grevant d’autres questions encore plus complexes.

C’est pourquoi, dans cet article, j’affronterai par un autre versant la question d’une influence victorine sur les franciscains. Remontant le temps de plusieurs années, j’essaierai de l’étudier aussi près que possible de François lui-même. A défaut de François lui-même, sur qui une telle influence eût été fort improbable,6 deux auteurs, parmi les plus anciens de l’ordre après François et qui l’ont personnellement connu, portent diversement la marque des écrivains de Saint-Victor. Antoine de Padoue, mort en 1231, est crédité dans ses Sermones d’une théologie spirituelle inspirée de Richard, mais aussi d’une langue comparable dans son style à celle d’un Hugues et d’un Richard.7 Thomas de Celano, mort vers [End Page 342] 1260, a été chargé à deux reprises de composer la légende du saint d’Assise: tâche dont il s’acquitte une première fois en 1228/1229,8 puis à nouveau en 1246/12479 et en 1247/1253.10 En effet, dès sa première Vita beati Francisci, donc à peine deux ans après la mort de saint François, Thomas de Celano trahit une certaine connaissance des écrits d’Hugues de Saint-Victor. C’est de lui que nous nous occuperons ici, pour examiner, au plus près de la source, s’il existe une affinité congénitale, pour ainsi dire, entre l’expérience franciscaine et la doctrine victorine.

Entre François, qui aime à se désigner comme ignorans, simplex et idiota,11 et les théologiens futurs de l’ordre, Thomas occupe, par sa place chronologique et sa formation, [End Page 343] une position moyenne. Sans doute originaire de Celano de la Marsica dans l’Abruzze, il a reçu une éducation de clerc.12 En témoigne sa familiarité avec la liturgie et surtout avec la Bible, dont les versets ne cessent d’affleurer sous sa plume. En témoignent aussi les lectures dont on devine la trace en le lisant:13 textes classiques comme les Épîtres à Lucilius de Sénèque et, ici ou là, divers poètes anciens; patristiques comme les Confessions d’Augustin, le livre II des Dialogues de Grégoire le Grand et ses Homélies sur les Évangiles, Vie de Martin et Lettre...

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