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Reviewed by:
  • Attachements. Observation d’une bibliothèque
  • David Dorais (bio)
Louise Warren, Attachements. Observation d’une bibliothèque, Montréal, l’Hexagone, 2010, 180 p.

À la fin de son plus récent ouvrage intitulé Attachements. Observation d’une bibliothèque, Louise Warren mentionne Montaigne, rare mention dans ce livre d’un écrivain ancien. L’auteur des Essais apparaît comme une figure presque paternelle, un peu lointaine, lui dont les textes fourmillent de personnages inconnus à elle. Pourtant, il lui sert de modèle : « Montaigne me communique sa liberté, son plaisir. Même son nom se traduit par l’image d’une marche en montagne, qui se fait [. . .] à mon rythme, accordée à ce que je vois, ressens, imagine. » En lisant Louise Warren, on constate l’influence profonde de ces deux principes – liberté et plaisir – sur son art et, comme en lisant Montaigne, on se prend souvent à détourner les yeux de la page, à rêvasser, puis à avoir envie d’écrire à son tour.

Car, comme chez Montaigne, le rappel par Louise Warren de ses lectures (ce qui constitue le projet d’Attachements) mène à l’évocation de souvenirs intimes, à la méditation philosophique, parfois à la transmutation de l’essai en poésie, et tout cela fait entrer en résonance l’affectivité du lecteur. Si la prose de Louise Warren touche autant, c’est qu’elle s’y révèle elle-même d’une grande sensibilité. Mais en quoi consiste la « sensibilité » d’un auteur ? Louise Warren se montre attentive (on dirait même attentionnée) envers les créateurs. Elle se montre admirative de leur travail, qu’elle les connaisse personnellement ou non, qu’ils soient peintres ou poètes. Elle décrit des toiles ou cite des vers avec tendresse, en précisant ses réactions aux œuvres. Grâce à ce patient processus de retour sur soi par l’entremise de réalisations artistiques, elle affine son intériorité en même temps qu’elle nous la dévoile. Ce faisant, elle indique que la véritable intimité ne passe pas par l’« autofiction sans pudeur », [End Page 449] mais par une « voix qui vient du mur », c’est-à-dire par le fait de parler de soi en se retirant derrière les autres. La sensibilité de l’auteure se manifeste aussi par son amour du silence, et des endroits reculés comme le village de Fox-Amphoux, dans le Var (France), village perdu entre les montagnes, les vallées et le ciel, où elle s’est rendue voir une exposition du peintre Bram van Velde.

Et de même qu’elle apprécie ces lieux, il semble qu’elle ait voulu développer un style à leur image, style paisible, quiet, aéré. Elle aime, ditelle, « les phrases qui laissent entrer le jour ». Des phrases à la syntaxe simple, très peu d’inversions. Elles sont fréquemment autonomes, comme si l’auteure désirait préserver leur liberté : presque aucun deux points ou point-virgule, encore moins de conjonctions de subordination. À la limite, des énumérations qui font se côtoyer les divers éléments sans que l’un empiète sur l’autre. Un désir de protéger chaque phrase pour qu’elle s’épanouisse pleinement.

L’esthétique à l’œuvre dans Attachements est paradoxalement celle du détachement. Les livres dont parle Louise Warren, souvent elle s’en est départie. Il lui en reste si peu qu’ils pourraient tenir dans un placard. Elle se demande même si l’ouvrage qu’elle est en train d’écrire ne finira pas par lui tenir lieu de bibliothèque portative, sans qu’elle ait besoin de rien d’autre : « Plus j’avance, plus je me déleste, comme un marcheur parti avec trop de bagages s’allège en chemin. » Si elle a choisi de conserver certains livres, elle explique pourquoi : il faut qu’il y ait une bonne raison. Et bien qu’elle garde le Journal de deuil de Roland Barthes (qui lui rappelle qu’elle aussi devra un jour perdre sa mère), elle le refeuillette pour en effacer les annotations, « pour laisser la pensée de Barthes flotter dans la page...

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