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  • Le Moyen-orient
  • Carla Calargé
Zein, Ramy.La Levée des couleurs. Paris: Arléa, 2011. ISBN 9782869599369. 202 p.

Paru en mars 2011, La Levée des couleurs est le troisième roman de l’écrivain Ramy Zein qui y explore le sujet encore refoulé de la guerre civile qui a déchiré le Liban entre 1975 et 1990. L’histoire est celle, fictive, mais pouvant facilement être vraie, de Siham, une fillette chrétienne de dix ou onze ans qui, un jour de septembre, assiste, impuissante, du haut d’un arbre, au massacre de toute sa famille aux mains de la milice druze. Accompagnée de son petit frère Karim qui, lui, s’est caché dans le tambour de la machine à laver, elle s’enfuit à travers les champs et rejoint les camps des réfugiés. Traumatisée comme on le devine, elle doit vivre avec ses démons, notamment le souvenir obsessif de Maher, l’épicier du village voisin, chez qui s’approvisionnaient ses parents et qui, contre toute logique, a participé au massacre de sa famille et perpétré le viol de sa mère. À la fin de la guerre, Siham décide donc de retourner dans la montagne afin de tuer le bourreau: son face-à-face avec ce dernier lui révèle une vérité insoupçonnée qui, si elle n’excuse pas, du moins explique la cruauté du milicien et empêche Siham de tomber dans le piège d’un nouveau cycle de violences.

L’originalité de la démarche de l’écrivain consiste, en premier, en ce qu’il ne cherche aucunement à éviter de désigner les acteurs du drame. Contrairement à un nombre d’œuvres qui parlent de la guerre libanaise en termes généraux ou qui désignent les milices d’une manière qui empêche de deviner leurs appartenances réciproques, Ramy Zein campe le début de son histoire dans le Chouf, en septembre 1983, et signale d’emblée que Siham appartient à la communauté chrétienne. Ce faisant, il se réfère clairement à un épisode de la guerre à la suite duquel les chrétiens sont sortis largement perdants et dans lequel des centaines de personnes ont été massacrées, des villages entièrement rasés et des milliers de survivants obligés de fuir et d’abandonner derrière eux un héritage de plus de [End Page 305] dix siècles de présence et de coexistence. Le roman évite toutefois le piège d’une représentation binaire qui mettrait les chrétiens du côté du bien et les Druzes du côté du mal. En donnant à lire l’histoire à travers la subjectivité d’une petite fille dont la famille n’appartient à aucune formation militaire, le roman offre plutôt un récit qui se veut assez fidèle aux faits: les pertes humaines ont eu lieu dans les deux camps, des innocents ont été tués dans les deux communautés, mais ce sont les chrétiens qui ont dû fuir, et c’est dans leur communauté que les victimes ont été les plus nombreuses. À cela s’ajoute que, tout au long du roman, la narration nuance notre entendement de l’histoire de Siham en nous offrant des pistes discrètes qui permettent de la situer dans le contexte, plus large, de la guerre. Ainsi, malgré le traumatisme qu’elle a subi, la jeune fille demeure sceptique face aux discours propagandistes de la milice chrétienne qu’elle place au même rang que les milices des autres communautés, celle qui a massacré sa famille notamment: “Sous prétexte de défendre le pays elles [les formations militaires] servaient les intérêts des puissances régionales et constituaient des outils d’enrichissement pour des cliques de criminels” (103). Du coup, l’histoire de Siham devient emblématique de l’histoire de tous les innocents, quels qu’ils soient, qui ont payé le prix de la folie meurtrière des chefs: “Ce qu’elle a subi à Yarcoub, elle voudrait ignorer que d’autres l’ont subi ailleurs, dans toutes les régions du pays, dans toutes les...

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