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  • L’Europe de l’Ouest
  • Michèle A. Schaal
Flükiger, Isabelle. Best-seller. Fribourg: Éditions faim de siècle & cousu mouche, 2011. ISBN 9782940422142. 181 p.

Best-seller, quatrième roman de l’auteure suisse-romande Isabelle Flükiger, s’ouvre tel un conte fantastique. Gabriel, chien au nom archangélique, fait soudainement irruption dans la vie de la jeune narratrice. Or, cet animal possède la qualité de faire le bonheur ou le malheur de ses propriétaires transitoires. Si, en effet, des personnages annexes, tels que Saïd, un réfugié politique kurde, ou encore la vieille mère d’un voisin exécrable, trouvent l’amour ou la fortune, la narratrice et son compagnon perdent, en revanche, leurs emplois respectifs.

Au-delà d’une illustration tragi-comique et quasi fantastique de la nature aléatoire de la chance, Flükiger se penche, une fois de plus, sur la condition hypermoderne. Dans ses trois premiers romans, cette exploration prend la forme de la quête identitaire: toutes étudiantes, les protagonistes cherchent à trouver leur place dans la société et à dépasser leur condition, qu’elles jugent médiocre ou trop préformatée.

Pour les spécialistes, l’âge hypermoderne, et néolibéral s’avère essentiellement paradoxal: plus libres de se déterminer eux-mêmes, du moins en apparence, les individus font également face à de nouvelles formes d’angoisse. La flexibilité personnelle et sociale entraîne un sentiment d’insécurité et une certaine instabilité dans des domaines aussi variés que l’emploi, les institutions sociopolitiques, la famille ou les relations amoureuses et amicales. Cette société du “plus vite” et du “toujours plus” génère également deux idéaux-types: “l’individu entreprenant,” qui profite pleinement de ce système, et “l’individu par défaut” incapable de prendre part, émotionnellement ou socialement, à l’hypermodernité (Lipovetsky et Charles 55, 76).4 Ainsi, la banalité ou la médiocrité se voient stigmatisées; tout comme le besoin de reconnaissance ou celui d’exceptionnalité deviennent de nouveaux impératifs.

Dans Best-seller, Flükiger dépeint surtout la condition des “individus par défaut.” Elle révèle la manière dont ces “nains de jardin” (123), “petits insectes terrorisés” (70, 173), ou frêles “chihuahuas en hiver” (68, 71) font face aux divers changements sociaux apportés par l’hypermodernité et le néolibéralisme en Suisse, bien que son portrait puisse s’étendre à l’Union européenne ou au monde occidental actuel. Dans une écriture davantage politisée que ses écrits précédents, elle aborde, entre autres, l’angoisse face au chômage et au déclassement social, la montée de l’extrême droite et d’un “racisme ordinaire” décomplexé, [End Page 298] l’abus de pouvoir des classes dominantes, l’impuissance à réagir, la désinstitutionalisation et la désolidarisation, ou encore la volonté de dépasser cette condition médiocre et incertaine. D’où le titre du roman: c’est avec un “best-seller” que la narratrice escompte entrer dans le cercle fermé de “ceux qui ont plus de poids” (70).

En plus d’une mise en abyme de l’acte d’écrire sur le monde qui l’entoure, le roman se construit aussi sur l’emploi, par la narratrice et les personnages annexes, d’expressions figées et imagées ou de lieux communs, souvent sous forme de métalepses directes, quand utilisés par la protagoniste: “On graisserait moins la machine qu’elle nous graisserait, si vous voyez l’inversion” (13), “tout est affaire de préparation psychologique dans la vie” (35), ou encore “oui, oui, l’illusion est l’opium du con. Je sais” (70), jalonnent effectivement le récit. Bien plus qu’un effet de réel, réaliste ou franchement comique, cette technique permet à Flükiger d’illustrer le désarroi commun à ceux et celles dépassés par l’hypermodernité. Les personnages ne trouvent alors que des clichés pour exprimer leurs angoisses, car c’est bien l’impuissance à réagir, à communiquer leurs émotions ou simplement à parler avec les autres qui taraude les personnages de Best-seller. Le...

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