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  • De la médecine chez Sade: Disséquer la vie, narrer la mort
  • Adrien Paschoud (bio)
Armelle St-Martin. De la médecine chez Sade: Disséquer la vie, narrer la mort. Paris: Honoré Champion, 2010. 414pp. 78€. ISBN 978-2-7453-1957-9.

Ce livre, issu d’une thèse, se propose d’étudier le rapport qu’entretient le romanesque sadien avec la médecine de son temps. La démarche s’imposait de toute évidence au vu des nombreuses références aux sciences médicales dont témoignent par exemple La Philosophie dans le boudoir et surtout les sommes récapitulatives que constituent La Nouvelle Justine et l’Histoire de Juliette. Qu’il soit implicite ou explicite, l’intertexte médical se caractérise par sa grande hétérogénéité. La pensée du philosophe matérialiste La Mettrie, inspirée du mécanisme de Boerhaave, occupe bien entendu une place essentielle. Mais on y trouve également des éléments empruntés à l’anthropologie vitaliste, dont La Caze et Ménuret de Chambaud furent les représentants les plus actifs au cours du second xviiie siècle. Les travaux relatifs à l’anatomie et surtout à l’irritabilité, notamment ceux de Haller, sont également bien représentés. À cela s’ajoutent des ouvrages qui relaient les avancées des sciences et les débats y afférant, à l’image des écrits de Buffon, abondamment cités et commentés dans les romans de Sade. L’approche proposée ici ne consiste pas, cependant, à établir un relevé exhaustif des sources médicales, mais bien davantage à mettre en lumière la remarquable capacité d’innutrition propre à la matière littéraire. Dans cette optique, la fiction sadienne est perçue comme une véritable matrice textuelle dont la finalité est de subordonner les savoirs à un puissant imaginaire du corps et, bien entendu, de la sexualité.

La première partie de l’ouvrage (« Disséquer la vie ») aborde la manière dont Sade se sert de la médecine comme levier philosophique. Armelle St-Martin invoque alors le terme de « creuset » (88) pour désigner l’hybridation du littéraire et du médical. Le romanesque fait [End Page 743] émerger un questionnement complexe sur les variations de la nature, le conflit entre l’ordre et le désordre, les anomalies du vivant; il s’avère être un outil épistémologique de premier plan, dans la mesure où il est à même de modéliser et de prolonger les débats inhérents aux sciences médicales, s’agissant par exemple des organes reproducteurs, des théories de la génération, de la tératologie ou encore de l’altération des tissus. Les lignes de partage qui régissent habituellement les savoirs sont décloisonnées pour être mises au service du matérialisme le plus outrancier (ainsi que le montre l’auteur dans le cas de l’hermaphrodisme). La seconde partie de l’ouvrage (« Narrer la mort ») s’attache pour sa part à l’usage que le romanesque fait de la médecine en tant que praxis. Il ne s’agit plus dès lors de s’interroger de manière théorique sur l’homme et la nature, mais bien de voir de quelle manière la matière fictionnelle insère le savoir médical dans une dynamique narrative. Les libertins sadiens deviennent dans cette optique de véritables démiurges: ils instrumentalisent le savoir médical pour infliger la maladie ou la mort; ils se livrent à d’infâmes dissections au mépris bien évidemment de toute déontologie (on pense notamment au personnage de Rombaud dans La Nouvelle Justine); ils élaborent d’innombrables machines dans l’unique dessein de mesurer la souffrance. Le libertinage fait alors de l’expérience—maître-mot de la pensée scientifique des Lumières—un outil indispensable à la connaissance, dont toutes les manifestations convergent vers un foyer unique, la volonté de dominer.

L’ouvrage d’Armelle St-Martin constitue un apport non négligeable s’agissant de l’imbrication qui unit le romanesque sadien et la médecine; il montre de manière...

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