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ANONYMAT ET RÉFÉRENCE DANS LA POÉSIE DE FRÉDÉRIC BOYER GLENN W. FETZER MAÎTRE d’œuvre de la traduction de la Bible publiée par Bayard en 2001 et auteur d’une vingtaine de livres (poèmes et romans) chez P.O.L. depuis 1990, Frédéric Boyer puise dans les récits bibliques, dans les légendes mythiques, ainsi que dans les faits divers pour en écrire de longs poèmes et des romans poétiques. Pour cet écrivain, raconter une histoire, faire un poème dépend moins d’une progression depuis un début jusqu’à une fin, que de répéter, revenir, rôder autour d’une thématique ou d’une série de phrases. Ce qui en ressorte est une poétique du quotidien connu par sa tonalité froide et cinglante, par ses truismes, et par ses dimensions tragiques. Si la poésie de Frédéric Boyer reflète une démarche personnelle peuplée de voix banales et angoissées de l’existence ordinaire, elle soulève, pourtant, la question de savoir comment la poésie peut constituer une modalité spécifique de signification. Lors d’un entretien recueilli par Éric Loret sur la place de Wittgenstein dans son livre Abraham remix (2005), Frédéric Boyer répond de la manière suivante : Toute sa philosophie m’aide à comprendre les dispositifs littéraires qu’on met en place quand on écrit. Il [Wittgenstein] montre comment une fonction grammaticale me crée moi-même en train d’écrire et dans mon rapport au monde…. (2) En effet, cette réponse annonce le projet poétique de Boyer : la poésie entreprise sous diverses expressions et de nombreuses stratégies. Écrire montre le langage en exercice et implique une poésie de relation. Pour cet écrivain, la poésie signale la rencontre de tout ce qui est familier et qui tend vers la récurrence. Ainsi la poésie s’élève des voix qui débitent les mêmes constats et les mêmes ânonnements depuis l’aube du temps. Elle 229 provient également des faits divers, dont chacun est singulier en son événement , mais dont tous sont pareils, en ce qu’ils font partie d’une structure inimitable. Cependant, par l’accent mis par le poète sur le fonctionnement et l’utilisation de la langue, la poésie s’interroge surtout sur le plan énonciatif. Pour mieux envisager les stratégies par lesquelles la langue poétique se met en situation, nous aimerions tenter une étude plus précise des démarches dont dispose le poète afin de construire la référence. 1. ÉNONCIATION ET RYTHME En élaborant un système de référence, le poète des Mes amis mes amis (2004), Songs (2003), et Le Goût du suicide lent (1999) agit le plus souvent par procédés rythmiques. L’une des premières choses qui frappent à la lecture du premier recueil est la tendance à la répétition, surtout celle de “ mes amis mes amis ” qui occupe le plus souvent la position introductoire des passages. Un autre aspect saillant du texte est l’absence, souvent marquée par le manque de ponctuation. Cela donne lieu à des énoncés qui accélèrent la lecture, et qui font suivre les éléments du texte sans laisser d’alinéa. Quant à la première impression, celle des répétitions, l’ensemble de mots “ mes amis mes amis ” signale la binarité, ou une relation de référence où chacun des termes constituants du groupe renvoie à la fois à la constitution de l’ensemble et à la relation constituée. C’est-à-dire que l’appréciation de la répétition dépend non seulement du niveau phonique mais également du niveau énonciateur, en ce que la répétition sert à contribuer au réseau de valeurs référentielles. Si l’on accepte la distinction faite entre référence et repérage (référence désignant la fonction par laquelle une unité linguistique renvoie à un objet du monde extérieur du texte, tandis que rep...

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