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French Forum 28.1 (2003) 29-56



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Mariage et "honnête amitié" dans l'Heptaméron de Marguerite de Navarre:
des idéaux ecclésiastique et aristocratique à l'agapè du dialogue humaniste

Reinier Leushuis


Le mariage, tout comme le rapport entre les sexes en général est, à l'époque de Marguerite de Navarre, un "inconnu" et une "énigme." 1 Malgré les efforts réformateurs des humanistes du début du XVIe siècle comme Érasme et Rabelais, le statut du mariage reste hautement problématique. Héritiers d'une longue tradition de débats théologiques et sociaux sur la nature et le sacrement du mariage, une tradition qui va des Pères de l'Église aux délibérations allégoriques (telles que Le Miroir de mariage d'Eustache Deschamps) et farcesques (telles que, par exemple, les Quinze Joyes de mariage) de la fin du Moyen Age, les deux réformateurs s'étaient déjà fortement attaqués au problème: Érasme dans des traités importants (L'Institution du mariagechrétien et la Louange du mariage) et dans certains de ses colloques (entre autres Le Prétendant et sa belle, Le Mariage, La Vierge qui hait le mariage), et Rabelais notamment dans le Tiers Livre. Les deux humanistes cherchaient à venir à bout de l'opposition majeure qui avait jusque là dominé l'institution du mariage. Cette opposition érigeait un ensemble d'idéaux matrimoniaux théologiques et ecclésiastiques, définis par le droit canon, contre les exigences d'une société où le mariage remplissait d'importantes fonctions socio-économiques, des exigences réfléchies davantage dans le droit romain et coutumier. 2

Pour Érasme comme Rabelais, l'enjeu était double: il fallait d'une part retenir la valeur sacramentelle du mariage, cette surenchère symbolique du lien matrimonial qui en fait un engagement sacré à l'image de l'union du Christ avec son Église. Cette notion du sacrement était cruciale pour raffermir une institution en pleine crise à l'époque [End Page 29] prémoderne. 3 D'autre part, une solution devrait être trouvée à la cause même de cette crise: la multiplication des mariages clandestins. L'insistance ecclésiastique sur le septième sacrement avait, au cours de l'histoire, lentement forgé la conviction des théologiens et des canonistes que, pour avoir un contrat de mariage valide et, à quelques exceptions près, indissoluble jusqu'à la mort, le simple échange des paroles de présence suffisait (il s'agit des verba de praesenti, les paroles qui expriment le consentement mutuel des partenaires). 4 Le droit canon, fortement dominant en affaires matrimoniales en Europe, 5 considérait en effet que sans témoins, sans consentement parental, et surtout sans la présence d'un prêtre, un mariage était "clandestin," mais il suffisait que le mariage soit contracté dans la présence de Dieu pour qu'il y ait sacrement et donc indissolubilité. Ceci faisait des mariages conclus à la hâte et en secret par de jeunes amoureux une menace considérable au système laïque. Ce dernier valorisait le mariage comme un contrat entre deux familles, scellé par l'acte sexuel des partenaires, et qui assurait la conservation du patrimoine familial et la continuité des liens héréditaires. Le consentement parental était d'une grande importance dans ce système, non seulement pour le monde aristocratique, mais aussi de plus en plus pour les structures économiques des villes prémodernes. 6

Les humanistes du début du siècle s'étaient donc préoccupés de ce "lieu géométrique" 7 de leur société qu'était le mariage et avaient essayé de mettre en place de nouveaux idéaux de mariage mieux adaptés aux exigences du temps. Érasme s'était exclamé à propos des protagonistes exemplaires de son colloque LePrétendant et sa belle: "Je souhaiterais pour ma part que tous les amoureux ressemblent à celui que je peins ici, et que les mariages ne se décident pas par...

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