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Reviewed by:
  • Cioran et ses contemporains
  • Raluca Romaniuc
Yun Sun Limet et Pierre-Emmanuel Dauzat, éds. Cioran et ses contemporains. Paris: Pierre-Guillaume de Roux, 2011. Pp. 341. 26.50€.

Sur le ton paradoxal et ironique qui lui est propre, Cioran s'étonne, dans Syllogismes del'amertume (1952), que « la perspective d'avoir un biographe n'ait fait renoncer personne à avoir une vie ». Sa propre vie, peu connue du public lecteur, mal reflétée dans l'œuvre du grand pessimiste, nous est donnée à lire dans les pages de Cioran et ses contemporains. Non pas de façon exhaustive, certes ; juste assez pour entrevoir l'homme derrière l'éclat cynique de ses aphorismes cinglants.

Parue en 2011, centenaire de la naissance de Cioran, cette collection d'essais, entretiens, souvenirs et fragments de correspondance est un bel hommage rendu à « [c]e Bossuet de la logique » (14). L'ambition des éditeurs a été d'offrir aux lecteurs l'image d'un homme ancré dans son époque, bien que « solitaire intellectuellement » (267), d'un moraliste assumant pleinement les inconvénients de la vie. À part les témoignages émouvants de ceux qui l'ont connu (Jeannine Worms, Jacques Le Rider, Yves Peyré, le docteur Gérard Binda), le portrait de Cioran s'esquisse à partir de conversations-après tout, « Cioran était tellement bavard » (22). Il s'entretient de Benjamin Fondane avec le poète américain Leonard Schwartz et le mathématicien Ricardo Nirenberg, de littérature et philosophie avec Édouard Roditi. Imre Toth et Simone Boué, compagne de toujours du penseur, nous dévoilent « Un autre Cioran », celui d'« [u]ne bonté, une bonne éducation, une tristesse désarmante face à la méchanceté » (265). La partie « Racines roumaines » revient sur ses débuts littéraires dans un pays qui lui a légué une spiritualité tout en contradictions, « héritage millénaire » (223) des Thraces et Bogomiles-maîtres lucides, pionniers de l'anathème. À Paris, où il s'installe dès 1937, de nouvelles racines prennent forme au fur et à mesure que naissent des affinités personnelles et intellectuelles. « Il y eut bien sûr Ionesco, le compatriote, le frère » (289), mais aussi Beckett et Michaux, qui partagent son exil, eux aussi « [d]es résidents, des voyageurs attardés pour toujours » (289). À ces rencontres familières, « entre gens du 'quartier' » (291)-de ce Quartier latin devenu indispensable (268), s'ajoutent les dialogues qui se tissent dans les pages de La Nouvelle NRF, avec Blanchot, avec Jean Paulhan. Le présent volume propose, entre autres, une dizaine de lettres inédites, de Cioran à Paulhan, qui éclairent les coulisses du monde littéraire et de l'édition, ainsi qu'un bref texte de Cioran, inédit en français, sur « Nicolas de Staël ou le vertige ».

L'image qui se détache des contributions consignées dans ce volume est celle d'un écrivain qui est autant le contemporain de Paul Celan ou d'Albert Camus que de Démocrite, Diogène, Montaigne ou Pascal-représentants, en quelque sorte, d'une même famille d'esprit. Et les éditeurs d'accompagner leur geste, déjà édifiant, par une exhortation : « Il faut lire Cioran, aujourd'hui, en faire notre contemporain, le penser et penser à lui » (14).

Ce volume, qui s'adresse aux spécialistes de l'œuvre cioranienne, pourrait également intéresser tous « [c]eux qui sont attirés par Cioran » (279). Les « repères bibliographiques », scrupuleusement rassemblés, renvoient aux ouvrages critiques sur son œuvre en français, allemand, anglais, roumain et espagnol.

Raluca Romaniuc
University of Maryland College Park
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