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  • Diversité et tolérance dans le libéralisme de John Stuart Mill
  • Marc-Antoine Dilhac (bio)

Que l’on doive à John Stuart Mill la première formulation et la première justification authentiquement libérales du principe de tolérance, reposant sur la promotion de l’autonomie et de la diversité, cela ne fait pas question1. En mettant l’accent de manière inédite sur l’importance de la sphère individuelle de liberté et sur la valeur morale et politique de la diversité sociale, Mill a défini une conception générale de la tolérance dont le noyau dur ne sera pas vraiment remis en cause dans la tradition libérale jusqu’à John Rawls. Le philosophe britannique a su mettre en œuvre différents arguments issus des traditions utilitariste et romantique pour défendre l’idéal d’une société accueillant les différences individuelles et encourageant l’originalité dans un régime de tolérance. Les traditions utilitariste et romantique, que nous pouvons personnaliser sous les figures de Jeremy Bentham2 et de Wilhelm von Humboldt3, se présentent comme des doctrines téléologiques promouvant respectivement une finalité sociale, à savoir la maximisation de l’utilité agrégée, et une finalité individuelle qui est la réalisation de soi. Ces deux traditions convergent chez John Stuart Mill, érudit et éclectique, qui cherche à concilier la dimension conséquentialiste issue de l’utilitarisme et la dimension morale perfectionniste issue du romantisme humboldtien.

Mais ce qui fait l’originalité de l’œuvre de Mill, au confluent de deux courants philosophiques, est aussi ce qui fait problème. En effet, la justification de la tolérance repose sur la promotion de la perfection morale qui réside dans le développement complet des facultés de [End Page 67] l’individu, de son caractère et de son autonomie. Pour que ce développement soit possible, Mill considère que l’individu doit jouir de la liberté de choix la plus étendue possible. Nous reviendrons en détail sur le raisonnement mis en œuvre par Mill dans son essai de 1859, De la liberté (On Liberty), et il suffit pour l’instant d’indiquer le point de tension : la liberté de choix, dans la mesure où elle est un moyen de parvenir à la perfection morale, doit être limitée au nom de cette fin même et l’intervention paternaliste d’un tiers, Etat ou individus, paraît dans certains cas justifiable pour réaliser la perfection morale.

Cette lecture est marginale parmi les interprètes de Mill et la plupart voit dans son œuvre la défense d’une liberté individuelle totale qu’aucune considération morale ne pourrait justifier la limitation. S’il y a des limites à la liberté et à la tolérance, on ne devrait les tracer qu’en considérant les torts effectifs que les individus peuvent s’infliger les uns aux autres dans l’exercice de la liberté. Cette interprétation robuste du principe de non-nuisance (Harm Principle) nous semble, au contraire, discutable. Le perfectionnisme de Mill et l’inscription de sa conception de la liberté dans une théorie utilitariste générale limitent la portée de la tolérance4 conçue à la fois comme une vertu morale individuelle et comme un idéal politique (la disposition politique des institutions) selon lequel on ne doit pas empêcher l’expression d’opinions, de croyances, de mœurs et de cultes qui suscitent la réprobation morale et que l’on a le pouvoir de réprimer.

Faut-il conclure à l’incohérence de Mill qui tient dans une main le principe de liberté et dans l’autre l’impératif de perfection morale et de maximisation de l’utilité ? Nous ne le pensons pas, mais il faut rompre avec l’idée que Mill serait un partisan d’une conception de la liberté dépourvue de considération morale. Or, le contenu de la morale est déterminé par sa conception de l’utilité et c’est la reconnaissance du principe d’utilité qui fixe les limites de la tolérance. En effet, la liberté, con...

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