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  • The Da Vinci Drag ou La Joconde De Reinaldo Arenas
  • Nicolas Balutet

Depuis cinq cents ans, la Joconde captive les esprits et suscite les fantasmes de millions de personnes qui espèrent en comprendre le mystère. Un mystère lié à la séduction de ce visage féminin enveloppé par le clair obscur d'un paysage sans lune qui laisse apparaître un chemin étroit pénétrant entre des roches acérées et conduisant à un lac verdâtre envahi de végétation visqueuse. Depuis des siècles, Mona Lisa n'a de cesse de se dérober à notre regard en même temps qu'elle pose le sien sur nous, nous mettant à nu. Si elle parvient à nous percer, la réciproque n'est pas de mise. Nous ne connaissons toujours pas son identité. Pour certains, il s'agirait de Lisa Gherardini, l'épouse d'un gentilhomme florentin, Francesco de Giocondo ; d'aucuns remarquent que le visage de Mona Lisa serait superposable à celui de Catherine Sforza, princesse de Forli, dans un portrait peint par Lorenzo di Credi ; pour d'autres encore, ce serait Constanza d'Avalos, maîtresse de Jules de Médicis ; ou bien une femme enceinte ou venant d'accoucher; le portrait d'un adolescent anonyme travesti en femme ou l'autoportrait de Leonardo lui-même (McMullen).

L'écrivain cubain Reinaldo Arenas (1943-1990) n'a pas résisté non plus aux fascinants charmes de la Joconde et lui a consacré l'une de ses meilleures nouvelles, « Mona » (Arenas 69-107), terminée à Miami Beach en octobre 1986. Publiée en 1990, c'est-à-dire peu de temps avant le décès d'Arenas, « Mona » fait partie de Viaje a La Habana, une compilation de trois nouvelles dont le thème central est la recherche consciente ou inconsciente de l'identité homosexuelle. Dans notre nouvelle, Reinaldo Arenas donne vie à l'hypothèse que la Joconde n'est autre qu'un autoportrait de Leonardo da Vinci qui se serait peint tel qu'il voulait être ou se sentait être, c'est-à-dire en une femme non seulement [End Page 247] souriante, impassible et radieuse mais aussi luxurieuse, séductrice et manipulatrice. L'écrivain cubain ne se contente pas d'accréditer l'idée du désir transgenre - qualifions-le ainsi pour le moment - de Leonardo mais, au moyen d'une écriture fantastique, il montre sa recherche de la satisfaction sexuelle avec les hommes les plus charmants de New York. À l'instar de La Vénus d'Ille de Prosper Mérimée où la statue prend vie, Mona Lisa, ou Elisa dans son apparence humaine, se promène dans la ville à la recherche de relations sexuelles à peine sont refermées les portes du Musée Métropolitain de la 5e Avenue qui abrite pour quelques semaines le tableau prêté par le gouvernement français. Cette utilisation de la Joconde comme personnage qui sort de sa toile pour se mettre à déambuler dans les rues de New York n'est pas isolée et, comme l'exprimait Philippe Merlo (217), « L'une des caractéristiques de la littérature contemporaine espagnole - et j'ajoute hispano-américaine - de ces deux dernières décennies est d'afficher ouvertement la réutilisation de l'image qu'elle intègre à la diégèse romanesque ».

Dans le cadre de cet article, je suivrai trois axes - « Mentir », « Séduire » et « Travestir » - dans la mesure où ils me semblent pertinents pour analyser la nouvelle.

La question du « Mentir » qui pose les problèmes du vrai et du faux est manifeste dans « Mona ». La nouvelle adopte en effet une forme particulière où plusieurs niveaux narratifs se confrontent. Il s'agirait de l'édition d'un manuscrit écrit en 1986 par Ramón Fernández, un marielito de vingt-sept ans, alors qu'il se trouve incarcéré pour avoir essayé de détruire la Joconde avec un marteau. Le texte est précédé d'une introduction de Daniel Sakuntala qui aurait reçu le manuscrit quelques heures avant que son ami Ramón Fernández apparaisse étranglé dans sa cellule. Le lecteur apprend rapidement que Sakuntala...

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