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  • Le sang des ruines
  • France Grenaudier-Klijn
Ringuet, Chantal . "Le sang des ruines". Gatineau (Québec) : La Coopérative d'édition des Écrits des Hautes Terres, Collection « Cimes ». 2010. Pp. 109. ISBN : 978-2-922404-60-9. Can $19.95.

Chantal Ringuet compte aujourd'hui au nombre de celles qui, tout en poursuivant une carrière universitaire, passent de l'autre côté du miroir et se frottent à la création de textes littéraires, processus qui, souligne Ringuet, « n'a rien de facile ». Il l'était d'autant moins que l'auteure se confrontait à un genre [End Page 152] duquel elle était peu familière : la poésie. Autant le dire tout de suite, son audace a porté ses fruits, puisque ce premier recueil de poésie a remporté le Prix littéraire Jacques-Poirier, une récompense qui revient à des manuscrits d'une qualité littéraire exceptionnelle.

Illustré par neuf photographies d'un autre universitaire-artiste, Jean-François Lacombe, le texte est divisé en quatre parties : Topographies ; Vestiges de Shoah ; Genèses maternelles et Régénérations, qui s'enchaînent très naturellement grâce aux similitudes thématiques, aux choix lexicaux et à la tessiture des textes, leur couleur rythmique, leur tonalité. Ces termes, qui renvoient au domaine musical, ne sont pas anodins, car les textes de Ringuet se lisent comme une mélopée un peu sombre, une vieille chanson psalmodiée, un refrain lancinant. Exemptes de ponctuations, et parfois soulignées de yiddish, les phrases nominales abondent dans un 'respire' saccadé auquel les blancs insérés ici et là—une très belle mise en page—accordent un bref répit.

Si le je y est très présent — c'est d'ailleurs sur un je que s'ouvre le premier poème— il s'agit en réalité d'un je double. S'y entrelacent une voix narrative féminine post-mnémonique et un je masculin hanté par la perte de sa femme et de son enfant durant la Shoah. La frontière entre ces deux voix est délibérément ténue, les lamentations de l'un/e se mêlant aux incantations de l'autre. Ce je à la fois actif et contemplatif, marche et regarde, touche, sent, aime, respire. Surtout, il se souvient. Cette mémoire lui pèse, « Quel fleuve/À la source puissante/M'emportera/Loin des atrocités » (29), autant qu'elle lui est précieuse, « L'exotisme/De se savoir/Multiple » (91). L'omniprésence de l'élément aquatique — rivière, torrent, fleuve, rapides, embouchure, ou encore nénuphars, algues, glaises, ruban d'eau — est particulièrement apte à évoquer le jeu ambivalent de la mémoire et de l'oubli, si prégnant dans la culture juive de l'après-Shoah : « Shoah/Ne signifie pas/Un entracte/De l'histoire » (37).

Le titre du recueil est révélateur lui aussi du ballet douloureux auquel s'adonnent la mémoire et l'oubli. Le sang nous renvoie au présent, à la vie, au chagrin, tandis que les ruines témoignent de la Catastrophe, du chaos, de l'atrocité. On ne peut fuir la mémoire, suggère Ringuet, tout en signalant à quel point il est parfois douloureux de se souvenir : « Chaque jour/Mes mains/Plongent dans les ronces » (35). La nature que parcourt la voix narrative est à la fois source de paix et complice de l'horreur, une « forêt/Parsemée/D'ecchymoses » (11). Mais aussi ambivalente soit-elle, elle fait rempart à l'oubli auquel appellent les fallacieuses « cloisons de verre » (11).

Les photos délavées de Jean-François Lacombe nous rappellent la beauté des lieux abandonnés, des carrières désertées, des fontaines ébréchées. Le présent n'est source de joie que s'il est palimpseste. Il faut donc résister aux sirènes de l'oubli, affronter le passé, résister, même si la mémoire perle aux cils. Les mots se font alors bâton de pèlerin. Ils aident à débroussailler, à gravir la falaise de la douleur, à ouvrir la voie vers une réconciliation au monde...

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