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  • L'Avoir-été et le n'être-plus :Le travail de la mémoire révolutionnaire dans Le Nouveau Paris (1798) de L. S. Mercier
  • Laurence Mall (bio)

Les choses passées sont abolies, mais nul ne peut faire qu'elles n'aient été1.

Le Nouveau Paris de Louis Sébastien Mercier fait encore figure de parent pauvre auprès du fameux Tableau de Paris, comme s'il ne s'agissait que d'une pâle auto-imitation, décevante par sa pesante politisation2. Au vrai, le Nouveau Paris, ouvrage substantiel de 900 pages, maintient le format fragmenté, ouvert, achronologique du Tableau de Paris mais place désormais l'histoire immédiate au premier plan. K. Pomian estime que « L'histoire du temps présent, c'est de la politique, ou du journalisme qui n'est qu'une modalité de la politique. [. . .] elle ne se laisse pas séparer d'un engagement dans le politique3 ». Cet engagement est indubitable dans Le Nouveau Paris : les convictions de [End Page 889] Mercier y sont vigoureusement exposées, l'œuvre étant partiellement un hommage à ses amis girondins et un long cri de haine envers les Jacobins. Sur plusieurs chapitres sont donc développés le récit des « journées mémorables » ainsi que des portraits et des analyses essentiellement politiques. Mais il s'agit en même temps d'évoquer à partir de son passé le Paris contemporain. Passé multiple : l'Ancien Régime brusquement si vieux et encore si proche, l'explosion de la liberté puis de la Terreur, mais aussi Thermidor et ses retombées. Passé mêlé, confus: la Révolution radieuse de 89 jamais ne se dissociera de son double sanglant de 93 ; la monarchie, soleil cou coupé, et le clergé déchu sont peut-être des hydres. Passé tout-puissant cependant : il informe ou déforme le présent et toujours le sédimente à chaque pas dans Paris et à chaque page du livre. « Je ne veux rien oublier », proclame son auteur4. Ce qui n'est plus a pourtant été. Le rapport entre le « n'être-plus » et l' « avoir-été » régit l'économie subtile de la représentation du passé dans Le Nouveau Paris.

La Révolution a instauré ce que François Hartog appelle un nouveau « régime d'historicité », que dans son livre du même nom il définit comme les façons dont une société traite son passé et en traite5. C'est précisément un des objets du texte de Mercier. Extraordinairement sensible aux perceptions et aux modalités de la présence du passé, il rapporte et analyse les progrès d'une mémoire en train de prendre, comme on dit d'une gelée. J'aimerais ici en examiner le traitement sous deux angles. D'une part, conscient à la fois des limites et des forces de son propre travail, Mercier suggère une distinction entre mémoire et histoire : l'enfoncée dans la contemporanéité de la mémoire en voie de construction fait surgir des processus de différenciation provisoires et incertains, certes, mais fins et précieux pour l'historien de l'avenir. L'écrivain fera apparaître les rythmes socialement si variables d'une mémoire collective à vif. L'ampleur et la profondeur des incursions de la mémoire varient elles aussi. L'éventail des positions politiques dans ce qui a été pour tous, bon gré mal gré, une histoire participante6, est très large. Les perceptions seront différenciées, et le sensible, partagé7. C'est que d'autre part la vie quotidienne est investie d'une valeur [End Page 890] mémorielle intense mais déjà menacée, circulant continûment sur l'axe de la conservation à la destruction qui régit l'espace des réminiscences. Cette vie quotidienne urbaine inclut lieux et monuments, certes, mais aussi objets et corps, inscriptions et paroles, pratiques et usages, coutumes et costumes ; en elle se donne à voir et lire la matière hétérogène de l'anamnèse8, soit ce qui vacille au seuil de l'oubli et doit être littéralement re...

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