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  • Un éléphant, ça trompe : l’animal et l’Empire
  • Éliane DalMolin

« La cause des bêtes pour moi est plus haute, intimement liée à la cause des hommes »

—Émile Zola

DANS UN ARTICLE DU FIGARO du 24 mars 1896, Zola écrit un texte très personnel et sensible sur l’amour des bêtes1 dans lequel il se pose la question de savoir d’où lui (nous) vient cette profonde affection pour l’animal en général, et pour les chiens errants en particulier. Il y raconte entre autre avec douceur et compassion la relation unique et forte qui le lia à son propre « petit chien fou » et son immense chagrin au moment de sa mort. Il suggère la possibilité pour l’homme de ne plus faire souffrir les bêtes et les autres hommes, en particulier les pauvres, les démunis, les errants (aujourd’hui nous dirions, les sans abris ou même les gens du voyage), et d’y trouver son compte d’humanité dans une communauté universelle où le respect et l’aide aux bêtes errantes seraient à l’image d’une humanité qui se défend de la souffrance et des « coups de canes » subis et reçus par ceux qui « errent ». Hommes et bêtes sont ici réunis dans la perte et le malheur, mais se retrouvent cependant dans l’amour universel. Même si l’article de Zola apparaît a priori idéaliste et simpliste, il n’en reste pas moins touchant et tendre pour celui qui se reconnaît aussi dans l’amour des bêtes sans toujours se l’expliquer avec une rationalité bien définie. Six mois plus tard, lors d’une remise de médaille organisée par la Société Protectrice des Animaux (créée en 1845) pour reconnaître les mérites de tous ceux et celles qui avaient fait preuve de compassion et même d’héroïsme envers les bêtes, Zola donna, sous forme de suite à son texte du Figaro, une réponse à la vive réaction que connut son article de la part des lecteurs qui s’étonnaient de l’aveu incongru et inattendu du grand homme sur son amour pour les bêtes. C’est dans cette réponse que Zola reprend le sujet de l’amour universel et prononce la célèbre formule : « La cause des bêtes pour moi est plus haute, intimement liée à la cause des hommes, à ce point que toute amélioration dans nos rapports avec l’animalité doit marquer à coup sûr un progrès dans le bonheur humain2 ». Il s’adressera ensuite directement et intimement à ces chères bêtes pour les remercier une à une de la part qu’elles tiennent dans ce bonheur humain : aux poules et lapins, aux chevaux et vaches, ainsi qu’aux oiseaux et insectes, il préfère en effet s’adresser en style direct, par souci d’égalité dans le discours [End Page 18] qui les réunit. On sent bien alors que pour Zola, agacé par la méfiance de ses lecteurs, c’est l’animal qui l’emporte sur l’humain, sur sa médisance, comme sur sa constante moquerie envers les bêtes. Zola descend de son idéalisme universaliste pour exprimer un sentiment de doute sur la capacité de l’homme à aimer sans appel. Il reconnaît et dénonce la profonde injustice que l’homme applique à toutes autres espèces que la sienne. Le futur grand acteur de l’Affaire, le défenseur d’Alfred Dreyfus, comprend mieux que personne le mépris et l’injustice des hommes face à celui, homme ou bête, qui n’est pas comme eux, et il conclut en se rangeant du côté de la cause des bêtes dans une déclaration de pure filiation aux résonnances baudelairiennes : « bêtes, mes sœurs » (Zola 235). Prendre le parti de l’animal est une tentation justifiée pour celui qui aime les bêtes, tant ces dernières sont mises à la dure épreuve de l’injustice et de la souffrance des hommes dans le réel comme dans les repr...

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