Juliette Adam et la Nouvelle Revue

Juliette Adam et la Nouvelle Revue Marie-France Hilgar University of Nevada, Las Vegas JulietteAdam,bien connue de ses contemporains pour ses activités tant littéraires que politiques et par la vogue de son salon, avait atteint la quarantaine quand elle caressa l'espoir d'avoir un journal quotidien à elle. Se mêler de journalisme engagé en 1879 était choisir un moment exceptionnellement favorable. MacMahon venait de démissionner; les républicains triomphaient mais des différends de plus en plus accentués commençaient à les éloigner les uns des autres. La politique extérieure n'intéressait guère la plupart des Français, or Juliette Adam croyait à l'importance primordiale, pour la France de 1879, de l'actualité internationale. Juliette dut cependant abandonner son projet de quotidien républicain pour épargner à d'autres organes déjà en vogue une concurrence inutile. Elle opta donc pour une revue bimensuelle qui prit le nom de Nouvelle Revue, l'acte constitutif de la Société étant déposé le 15 juillet 1879. La première livraison qui parut le 1er octobre donnait la mesure des intentions et des moyens de sa directrice. Sur deux cent vingt-cinq pages de texte, il y en avait seulement une centaine qui ne traitaient point d'actualité. La Nouvelle Revue offrait une impressionnante concentration de noms alors en vogue. Les auteurs exposaient, chacun dans le domaine de sa compétence ou de son choix, leurs vues personnelles sur les faits à l'ordre du jour. Ferdinand de Lesseps1 dissertait sur "le Canal Interocéanique,"Amédée le Faure2sur "les Grandes manoeuvres," le général Eugène Türr3 sur "la question d'Orient", un certain G. Demombynes sur "la Réforme Judiciaire."4 En outre, la Nouvelle Revue contenait trois articles indépendants consacrés, le premier à la politique étrangère et s'intitulant "Lettres sur la politique extérieure," le second à la politique intérieure et qui fut baptisé "Chronique politique," le troisième aux faits marquants qui pouvaient intéresser le lecteur d'un bimensuel et dénommé "Journal de la quinzaine." Pour ne pas faire ouvertement concurrence à la revue de la rive-gauche, c'est-à-dire à la Revue des Deux Mondes,5 Juliette concentrait son attention sur les considérations sur le présent, ses causes directes, ses conséquences d'avenir, la mêlée politique avec ses fluctuations et ses surprises, les conseils à prodiguer aux autorités et les connaissances rapides à donner au public. 11 12Rocky Mountain Review Le chiffre du tirage de cette première livraison était impressionnant pour l'époque: huit mille exemplaires. Pour que le succès soit continu, il fallait que Juliette s'attache des collaborateurs de marque qu'elle trouva en partie grâce à son salon devenu l'un des plus recherchés de Paris. Les jeunes auteurs, envers lesquels les directeurs de la revue rive-gauche n'avaientjamais montré beaucoup de bienveillance, optèrent en général pour la Nouvelle Revue. La politique de la revue, modérée mais franchement républicaine, la qualité exceptionnelle de ses articles d'actualité, et les premiers succès de Loti gagnèrent à la revue et à sa charmante directrice bon nombre de lecteurs et d'abonnés. Juliette Adam ne se contentait d'ailleurs pas d'attendre que des collaborateurs vinssent se présenter à elle. Elle ne se lassait jamais d'écrire, d'insister, de revenir à la charge, de rappeler une promesse, lorsqu'il s'agissait d'un grand nom, pour s'assurer une brillante collaboration . C'est à la Nouvelle Revue, en 1881, que Maurice Sand confia la publication d'un choix qu'il avait fait dans les lettres de sa mère. Le grand-duc de Russie, Nicolas, frère de l'empereurAlexandre II, fournit, sous le couvert de l'anonymat, deux articles sur "la Guerre Russo-Turque" qui rehaussèrent le prestige de la Nouvelle Revue et la promurent au rang des organes à audience internationale comme il y en avait fort peu alors en Europe. LAnnuaire de la Presse de 1882 décrivait le périodique en ces termes: "La rédaction de laNouvelle Revue est surtout recrutée parmi les jeunes...