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Les Cahiers de Valéry 1920-1928: problèmes de genre et de statut Hélène M. Julien Arizona State University Texte à la poursuite d'un insaisissable "moi" qui ne peut s'inscrire et s'écrire que dans la fugacité d'un moment dont l'unicité fait toute l'importance, les Cahiers de Valéry correspondent à un projet maintes fois exposé par leur auteur, celui de l'observation et de la saisie de lui-même par un esprit dans l'exercice de la pensée. Il s'agit ainsi, pour Paul Valéry, de se constituer un champ d'observation en vue de l'élaboration d'un "Système" qui embrasserait l'ensemble du fonctionnement humain1. Il résulte de cet ambitieux projet, outre le caractère morcelé et parfois même contradictoire des Cahiers, imputable aux conditions mêmes dans lesquelles ils ont été écrits, que certains traits contribuent à en rendre la lecture ardue et parfois peu gratifiante: aspect presque cryptique de certaines allusions , usage délibéré de formules quasi-mathématiques en lieu et place d'un récit d'événement ou d'une analyse de situation, et finalement abstraction parfois déroutante qui semble dominer la réflexion même sur les thèmes où l'on attendrait une plus grande part d'émotion ou d'affectivité (voire de trivialité). Or, lorsque grand nombre de ces passages sont mis à la lumière du Journal de Catherine Pozzi2, qui fut la maîtresse de Paul Valéry de 1920 à 1928, s'y révèlent certaines tensions et intentions souvent bien dissimulées derrière l'abstraction de ce texte qui se réclame avant tout de l'idéal de Monsieur Teste. Ces tensions se rattachent particulièrement au contexte spécifique de la relation amoureuse entre les deux auteurs—relation, rappelons-le, animée pendant huit ans d'une passion extraordinaire faite de fascination et de rejet, d'attirance irrésistible et d'incompatibilités irréductibles3—mais, loin de se limiter à elle, relèvent en fait d'une problématique qui parcourt une part plus considérable de l'oeuvre. D'une part, en effet, ce rapprochement, en mettant au jour dans certains textes des Cahiers une signification beaucoup plus spécifique que ne le sugg érait leur caractère abstrait et général, révèle un geste d'écriture qui ne se limite plus seulement à l'effort pour saisir la pensée en train de penser, l'idée en train de s'élaborer, un moi exemplaire* en train de se construire, mais le dépasse et implique un mouvement beaucoup plus "intimiste". D'autre part, cette lecture remet définitivement en cause la non-appartenance hautement proclamée par 31 32Rocky Mountain Review Valéry des Cahiers, ou du moins de certaines de leurs parties, au genre du journal intime ("Je n'écris pas 'mon journal'—Il m'ennuierait trop d'écrire CE que je vis d'oublier; CE rien qui ne coûte rien que la peine immense d'écrire ce qui ne coûte rien" [23: 8]). Finalement, cette lecture impose de revoir le statut des Cahiers comme "Essais, Esquisses, Études, Ébauches, Brouillons, Exercices, Tâtonnements" (3: 339) qui ne fonctionnent que sur eux-mêmes, "calques successifs" (22: 156) et avant tout "provisoire[s]" (18: 201), pour les placer, au moins en ce qui concerne les années 1920-1928, dans un rapport dialogique étroit avec un autre texte, celui de Catherine Pozzi. En premier lieu, donc, le Journal de Catherine Pozzi, en évoquant sa relation avec Paul Valéry de manière explicite et souvent détaill ée, permet de situer les textes sur l'amour qui apparaissent dans les Cahiers particulièrement dans les années 1920-1922 (regroupés dans la section "Éros" de la Pléiade), réflexions en termes abstraits ou généraux sur la nature de l'amour à l'occasion même désigné comme un "développement artificiel" (7: 561), une "maladie mentale " (7: 636-37), mais aussi évocation d'une tendresse et d'une passion encore sans objet précisé quoiqu'apparemment fort réelles5...

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