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  • L’affaire Rouy. Une femme contre l’asile au XIXe siècle
  • Jean-Christophe Coffin
Yannick Ripa.- L’affaire Rouy. Une femme contre l’asile au XIXe siècle. Paris, Tallandier, 2010, 265 p.

En 1854, trois hommes austères et mystérieux se présentent au domicile d’une artiste pour lui ordonner de les suivre. La femme, âgée de 40 ans, s’exécute sans montrer de grande résistance et, après un transport dont elle ne connaît toujours pas la raison, se retrouve internée à la maison de Charenton, bel asile à proximité de Paris. Sa vie prend alors un cours tout à fait nouveau où les rebondissements, les déboires, l’injustice scandent désormais son destin. Commencé comme un roman policier, l’ouvrage de l’historienne Yannick Ripa se transforme en récit haletant d’une incroyable saga tragique et kafkaïenne. Pendant quatorze années, cette internée, dont l’état civil est malmené, entre dans un voyage à bien des égards hallucinant. Asiles parisiens, puis asiles de province, elle devient, bien malgré elle, une observatrice du fonctionnement des asiles français, de l’attitude des médecins qui les dirigent, et de l’étrange cérémonial de certains inspecteurs. Abasourdie dans un premier temps par sa nouvelle situation, Hersilie Rouy tente de réagir en adoptant tour à tour plusieurs comportements : de la négociation à la contestation, de la recherche de soutiens extérieurs à la protestation via une correspondance dont on a encore quelque trace. Mais la principale source demeure le livre de ses mémoires qui est paru après sa mort.

Accorder trop d’importance aux mémoires d’Hersilie Rouy pouvait être risqué ; en même temps, cette source s’impose pour tenter de démêler les fils complexes de cette affaire. Progressivement Y. Ripa s’en détache afin de ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui est raconté. Certains passages semblent insolites, voire contradictoires. Alors même que l’auteur faisait de l’internement de cette musicienne une absurdité, on découvre peu à peu chez cette dernière quelques comportements surprenants. Comme le souligne en effet Y. Ripa, quatorze années d’une vie pareille pourrait en effet perturber psychiquement les plus robustes. Hersilie Rouy rêve d’un père talentueux, s’invente des filiations, témoignage peut-être pas de folie mais de sa grande imagination, se révèle procédurière et entêtée – une qualité en certaines circonstances ! Elle nous apparaît progressivement comme une femme avec ses secrets, son intimité (qui n’est pas totalement pénétrée par l’historienne). Bref, c’est le tracé d’une vie avec ses attentes et ses déboires, et les difficultés d’une femme dans une société qui a vite faite de les juger, surtout lorsqu’elles sont comme Hersilie Rouy artistes, célibataires et indépendantes. L’historien n’est sans doute pas le mieux placé pour soutenir ou contester tel ou tel diagnostic médical. « Il ne revient pas en effet à l’historien d’émettre des réserves sur la pertinence d’un diagnostic, mais d’en analyser le mode de production comme révélateur et de la pensée aliéniste et du fonctionnement asilaire. » (p. 266.) On ne saurait mieux dire. En effet, si affaire il y a, ce n’est pas qu’une femme ait été internée dans un asile d’aliénés, ce sont les motifs pour lesquels elle l’a été. Ce qui frappe le lecteur est la méconnaissance profonde par les aliénistes de la vie et de la psychologie d’Hersilie Rouy, ou, si l’on préfère, la rapidité avec laquelle un diagnostic est posé et qui ne changera quasiment plus au cours des années suivantes, au-delà de termes savants qui subissent quelques modifications d’étiquette mais point de contenu. Hersilie Rouy est clairement un matricule, ce qui est bien commode puisque son identité civile est sources de confusions [End Page 184] rocambolesques qui feraient sourire si les conséquences sur sa vie n’étaient pas...

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