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  • Enterrer les morts et les honorer
  • Emmanuel Bellanger and Danielle Tartakowsky*

Le présent numéro du Mouvement social est une contribution à l’analyse de la mort comme « affaire publique » 1, politique, réglementaire, patrimoniale et mémorielle. Il s’essaye à une étude des constructions socio-politiques que sont les cimetières et à leur inscription dans la Cité. Deux approches ont été retenues. La première concerne l’administration de la mort par les Églises, les autorités publiques et leurs délégataires. Elle s’intéresse à leurs relations complexes, à géométrie variable en fonction des traditions nationales, des régimes politiques, des traditions confessionnelles et des cultures partisanes et idéologiques. La seconde s’attache aux circonstances et aux processus qui permettent à la puissance publique, à des individus ou, plus fréquemment, à des collectifs, de donner sens à la mort ou du moins de s’y essayer en érigeant les cimetières, ou certaines de leurs divisions, en expression d’une identité collective chargée d’une sacralité qui s’enracine dans le sacrifice accompli et dans l’Histoire. Elle prête une attention particulière aux conflits qui peuvent surgir pour la définition du sens de la mort et pour sa pleine maîtrise.

Pour aborder ces deux thèmes, qui parfois se chevauchent, huit articles, ayant pour trois d’entre eux une dimension comparative, traitent de cimetières implantés en France, en Grande-Bretagne et en Allemagne, aux États-Unis et en Argentine ou encore au Liban sans s’interdire des incursions dans quelques autres pays impliqués dans le premier conflit mondial. Il peut s’agir de cimetières de communes urbaines en France, en Grande-Bretagne (Pascale Trompette et Robert Griffiths, Juliette Nunez) ou de villages au Liban Sud (Kinda Chaib), lieux d’élaboration et de mise en œuvre de normes destinées à satisfaire à des impératifs communs mais qui, cependant, diffèrent au gré des régimes et des confessions 2. Il peut également s’agir de certaines des grandes nécropoles conçues pour répondre aux injonctions hygiénistes formulées en Europe dès la fin du XVIIIe siècle et, dès lors, marquées par la révolution funéraire qui s’en est suivie, selon des rythmes spécifiques à chacune: ainsi, les cimetières de Friedrichsfelde à Berlin (Élise Julien et Elsa Volnau, Ariane Jossin), de Highgate à Londres, [End Page 3] de Waldheim à Chicago, tous inspirés, directement ou non, du cimetière paysager du Père-Lachaise (Danielle Tartakowsky). Il peut s’agir enfin de cimetières militaires épousant la géographie des champs de bataille où reposent tant de dépouilles, inhumées loin des leurs, parfois jusqu’aux confins du monde habité, qu’il s’agisse des soldats tombés durant la Première Guerre mondiale ou durant la guerre des Malouines (Antoine Prost, Jérémy Rubenstein). Huit regards autorisent, in fine, la traversée de quelque deux siècles d’une histoire politique et sociale de la mort 3.

Le « territoire des larmes »

L’appréhension de la mort est associée à un imaginaire collectif et à un rapport intime, sensible et affectif au défunt 4. L’histoire funéraire a produit des pratiques mortuaires, des rites, des mises en scènes, des usages commémoratifs 5. Ces manifestations, qui vivifient et honorent une « communauté imaginée » polarisent des conflits de légitimité autour de la construction mémorielle et de son instrumentalisation partisane (Ariane Jossin, Élise Julien et Elsa Volnau, Danielle Tartakowsky), communautaire, familiale, voire militaire (Kinda Chaib, Jérémy Rubenstein). La mort renvoie à l’expression de l’émotion, au « territoire des larmes » pour reprendre, en élargissant son périmètre, la belle image d’Emmanuel Fureix 6, mais l’observation de la mort recouvre également des dimensions plus terre à terre, enchevêtrées les unes aux autres, de portée juridique, administrative, économique, technique et politique (Pascale Trompette et Robert Griffiths).

À l’exception peut-être des villages du Liban Sud (Kinda Chaib), pour des raisons qui tiennent sans doute plus à des questions d’échelles qu’à une moindre implication structurelle des pouvoirs publics, les articles ici réunis font...

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