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Le Narrateur et son Texte dans L'Emploi du Temps de Michel Butor MARIE-LAURE RYAN Chaque fois qu'on trouve dans un roman un personnage de narrateur , il s'agit d'un substitut du romancier, et il introduit une réflexion sur l'oeuvre d'art, dit en substance Michel Butor dans ses entretiens avec Georges Charbonnier.1 Cette réflexion joue un rôle important dans l'Emploi du Temps. Le narrateur ne se contente pas d'écrire, il s'interroge en outre constamment sur la signification de son texte. La relation qui unit Jacques Revel à son manuscrit n'est pas statique; le sens du travail qu'il accomplit patiemment ne lui est révélé que progressivement et connaît au cours des mois une constante évolution. A l'origine de l'invention littéraire, dit encore Butor, il y a un malaise et une indignation.2 Le travail créateur de Revel est présenté par celui-ci comme un combat contre la ville de Bleston dont la grise réalité le paralyse et l'abrutit. Comme la Scheherazade des Mille et une nuits, Revel raconte pour se sauver. Le livre doit amener le narrateur à la lucidité. Or l'acte qui sauve c'est celui du déchiffrement. Les théoriciens du Nouveau Roman contestent absolument la notion d'oeuvre-dévoilement de la réalité, pour lui opposer celle d'oeuvre productrice d'un monde indépendant. Mais Jacques Revel n'est point de leur école. Il se trouve "en situation," et pour lui moins importe "la production d'une fiction qui n'est pas encore" 3 que l'éclaircissement de la réalité qui le Marie-Laure Ryan is completing a book-length study of Saint-John Perse. 1 Georges Charbonnier, Entretiens avec Michel Butor, Paris, Gallimard 1967. 2 Ibid. 3 Jean Ricardou, dans: Le Nouveau Roman, hier, aujourd'hui, Colloque du Centre culturel international de Cerisy-La-Salle, vol. I (Problèmes généraux), Paris, Union Générale d'Edition 1972, p. 56. ROCKY MOUNTAIN REVIEW27 tient prisonnier. L'on rétorquera qu'au terme du roman le contraire se produit—le déchiffrement n'est point mené à bien mais une oeuvre prend naissance.4 Il n'en reste pas moins que jusqu'au bout Revel conserve l'intention de "révéler quelque chose qui existe déjà" 5 (cf. son nom Revel), et si dévoilement devait véritablement s'opposer à production (en fait je suis loin de croire ces deux fonctions absolument inconciliables), c'est malgré tout le désir de révéler qui conduit le narrateur, plus ou moins à son insu, sur la voie de la production. Ainsi ce désir est-il en quelque sorte la ruse employée par la butorienne Raison, maîtresse des ressorts et des fils de l'histoire, pour initier Revel à la pratique de l'écriture. Mais le thème du déchiffrement tient un autre rôle tout aussi important. En se consacrant à l'éclaircissement d'un étrange univers, Revel n'est pas seulement le substitut du romancier , il se donne également pour figure du lecteur: lecteur de la ville de Bleston, mais aussi des oeuvres d'art qui forment le patrimoine de la cité, et lecteur enfin des pages qu'il rédige devant nous. Lecture, écriture, ces deux activités s'avèrent inséparables, tout changement dans la technique de l'une se répercutant dans la pratique de l'autre. L'interprétation que donne Revel aux événements de son séjour dans la ville de Bleston se transforme constamment, c'est pourquoi il ne peut se contenter de la technique habituelle de narration linéaire, qui, après avoir évoqué des faits va irrémédiablement de l'avant sans offrir la possibilité d'un second examen des événements racontés. Mois après mois il va donc modifier sa technique narrative, dans l'espoir de parvenir à une meilleure intelligence des faits. Les cinq parties du roman amènent chacune un changement de méthode. La forme de son récit futur n'est pas d'emblée donnée à Jacques Revel...

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