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  • Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar : de Monja Joana à Ratsimandrava (1960–1975)
  • Françoise Blum
Françoise Raison-Jourde et Gérard Roy. - Paysans, intellectuels et populisme à Madagascar : de Monja Joana à Ratsimandrava (1960–1975). Paris, Karthala, 2010, 487 pages.

Il s’agit là d’un livre exceptionnel. Disons d’abord que c’est un très beau livre, qui allie le sérieux des meilleures études universitaires – connaissance et utilisation des archives, y compris personnelles, nous y reviendrons, maîtrise critique des sources et du sujet – au caractère plus intime voire plus littéraire du témoignage, et au côté parfois haletant d’une histoire aux allures de roman policier. En un sens cette étude est un objet hybride, récit passionnant qui court sur vingt ans de l’histoire de Madagascar, de l’indépendance de la Grande Île en 1960 à l’assassinat du colonel Ratsimandrava, jusqu’à ce jour non élucidé. Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette histoire n’avait pas encore trouvé ses auteurs, à l’exception d’un livre déjà ancien de Robert Archer 3, non dénué de qualités mais imprégné de la vulgate marxisante de l’époque. On ne peut qu’espérer que la lecture de l’ouvrage de F. Raison-Jourde et [End Page 112] G. Roy stimule d’autres études sur cette période et sur un terrain qui malheureusement reste enclavé et réservé à quelques trop rares spécialistes, du fait sans doute des cloisonnements universitaires et de l’éloignement de Madagascar.

Présenter les auteurs est ici important, voire indispensable, pour comprendre la matière dont est fait ce livre. F. Raison-Jourde, historienne reconnue de Madagascar, avait en ses débuts dans l’enseignement et avant d’avoir un poste à l’université Paris VII, été détachée à l’université de Tananarive, qui était, avec Dakar et Brazzaville, l’une des trois premières universités de l’ex-empire français africain et malgache. Elle y enseigna huit ans, de 1965 à 1973, et y connut le co-auteur du livre, G. Roy, anthropologue travaillant alors à l’ORSTOM. Tous deux appartenaient à ce milieu des coopérants de gauche, parmi lesquels on trouvait aussi les sociologues Gérard Althabe et Anne-Marie Goguel ou le philosophe Yves Duroux, qui jouèrent un rôle majeur dans la transmission des savoirs critiques, de l’Occident à ce qu’on appelait alors le Tiers Monde. De surcroît G. Roy et son assistant à l’ORSTOM, Régis Rakatonorina, furent impliqués dans un prétendu « complot maoïste d’Antsirabe » dont sont ici révélés pour la première fois les tenants et aboutissants. Évidemment, F. Raison-Jourde et G. Roy ne se sont pas fiés à leur seule mémoire mais ont utilisé, outre des archives publiques d’ores et déjà accessibles, l’impressionnante documentation réunie alors, et conservée jusqu’à ce jour, par G. Roy : fonds d’archives privées exceptionnel de celui qui fut acteur, et non des moindres, de ces années dont est ici retracé un grand pan.

Contentons-nous, sans déflorer ce livre, d’en rappeler le schéma. Madagascar obtient son indépendance en 1960, comme treize autres colonies de l’Union fran-çaise et est gouverné jusqu’en 1972 par l’inventeur du terme « Communauté », le socialiste Philibert Tsiranana. Ce « Père de la nation », à la tête du gouvernement et d’un parti quasi-unique, le PSD, à l’égal d’un Senghor ou d’un Houphouët-Boigny, n’eut pas la longévité au pouvoir de ces derniers. Il est renversé en mai 1972 par une révolution étudiante et populaire qui finit par donner le pouvoir à l’armée. Mais le nouveau chef de l’État, le général Ramanantsoa, démissionne au profit du colonel Ratsimandrava qui tente d’instaurer une sorte de démocratie paysanne, basée sur le Fokonolona, c’est-à-dire l’assemblée villageoise : très étrange expérience, entre auto-gestion et populisme. Le colonel Ratsimandrava est assassiné sans avoir eu le temps de terminer son œuvre – ou son rêve – avant que...

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