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  • La rançon du colonialisme. Les surréalistes face aux mythes de la France coloniale (1919–1962)
  • Alain Messaoudi
Sophie Leclercq. - La rançon du colonialisme. Les surréalistes face aux mythes de la France coloniale (1919–1962). Dijon, Les Presses du réel, 2010, 443 pages. « Œuvres en société ».

Abondamment étudié du point de vue de l’histoire de l’art et de la littérature depuis la remarquable Histoire du surréalisme publiée dès 1945 par Maurice Nadeau, le mouvement surréaliste, qui lie explicitement engagement esthétique et engagement politique, reste un objet d’étude intéressant pour l’histoire culturelle. On pouvait donc attendre d’une analyse de ses rapports à l’empire colonial et à ses discours fondateurs une compréhension plus fine de la culture impériale française, de ses limites et de ses contestations. Or, faute peut-être d’un angle d’approche bien défini ou d’une réflexion sur des sources aux statuts variés – comment croiser l’analyse d’archives « ordinaires », élaborées sans souci de passer à la postérité, avec la lecture d’œuvres d’art, fruits d’une élaboration complexe et ayant l’ambition de faire date ? –, cet ouvrage, issu d’une thèse de doctorat, peine à nous faire saisir les ressorts et les limites de l’anticolonialisme des surréalistes et à dégager la signification historique de celui-ci. L’attente suscitée par l’élégance formelle du livre (son format, son papier, les illustrations qui ouvrent chacune des parties) est déçue. Parfois trop allusif, souvent plat, adoptant un ordre parfois déconcertant – la mobilisation contre la guerre d’Algérie est par exemple traitée avant la question plus générale des décolonisations –, le texte ne répond pas à l’ambition du projet. Il n’est pourtant pas sans nous présenter des matériaux intéressants.

Le livre s’organise chronologiquement en trois parties. La première, relativement courte, rappelle quels étaient, au début des années 1920, les mouvements qui, « aux marges de la France coloniale », ont contesté la colonisation française ou, plus souvent, [End Page 110] ses modalités : à côté des dadaïstes et des poètes du Grand Jeu, les surréalistes se sont référés à Alfred Jarry, Raymond Roussel ou Georges Darien. La deuxième partie de l’ouvrage, « Esthétique de l’anticolonialisme », se concentre sur les années 1925–1934. Surréalistes et communistes se rejoignent alors autour d’un discours anticolonial radical qui rompt avec l’idéologie dominante selon laquelle la colonisation est une nécessité historique et un progrès moral. L’opposition à la guerre du Rif en 1925 est au cœur même de leur rapprochement. La question coloniale fait sans doute aussi partie des questions qui motivent leur rupture en 1934, lorsque le PCF décide de s’allier avec les socialistes et les radicaux de façon à constituer un Front populaire – mais ce point n’est pas analysé par l’auteur. La troisième partie, « Rejouer l’anticolonialisme », analyse enfin la position des surréalistes après la Seconde Guerre mondiale, au temps des décolonisations.

Sophie Leclercq dégage bien les fondements d’un anticolonialisme qui se nourrit d’une contestation des valeurs de l’Occident. Les surréalistes dénoncent la fausseté de la mission civilisatrice et le mensonge d’un humanitarisme meurtrier : c’est l’Occident rationaliste qui, coupant l’homme de son imaginaire, représente le danger principal. Prenant la défense de l’Orient et des « primitifs » contre les atteintes d’un Occident qui réglemente la sexualité, réprime la folie et prohibe l’usage des drogues, ils s’inscrivent dans un mouvement plus large de contestation de la modernité occidentale, déjà initié par les romantiques – mais le livre ne nous dit rien de l’importance d’un Nerval, par exemple, pour les poètes surréalistes. Cet amour du primitif et du sauvage s’accompagne d’une certaine ignorance des réalités des espaces colonisés. Le voyage au Maghreb de René Crevel reste à l’état de projet et...

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