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Reviewed by:
  • Ce corps qui parle. Pour une lecture dialogique de Denis Diderot
  • Mitia Rioux-Beaulne (bio)
Anthony Wall , Ce corps qui parle. Pour une lecture dialogique de Denis Diderot. Montréal, XYZ éditeur, coll. Théorie et littérature, 2005, 298 p., 27$

Le livre d'Anthony Wall s'inscrit dans une tradition qui, depuis quelques décennies, étudie la manière dont la littérature se saisit du corps. Prenant Diderot pour centre, Wall se propose de contester une certaine vision un peu figée de la « Raison des Lumières » dans son rapport à la corporéité que cette tradition entretiendrait. Diderot, de fait, constituerait un exemple probant de ce que la pensée et la littérature du XVIIIe siècle ne se laissent pas enfermer dans de telles simplifications. Ainsi, convoquant perspective bakhtinienne, psychanalyse, sociologie du quotidien, études féministes et gay, Wall s'efforce de déployer une image de la complexité de l'écriture diderotienne qui ferait du corps et de ses mouvements non pas son objet, mais son lieu d'ancrage : « Diderot semble moins penser au corps que penser depuis le corps, avec le corps. » Disons-le d'emblée : on pourrait dire de ce livre, qui se veut un essai (probablement au sens adornien du terme, qu'il invoque à quelques reprises), qu'il entre en relation avec Diderot sur un plan similaire à celui qu'il déploie, semblant moins penser à Diderot que penser depuis Diderot, avec Diderot. De fait, si chaque chapitre prend l'étude d'un texte de Diderot pour prétexte, chaque fois, l'auteur y puise des stratégies d'écriture dont la thématisation fournit l'opportunité d'une réflexion plus générale sur des concepts de la critique littéraire postmoderne : « corps-signe », « bavardage », « polyphonie », « performativité », « fragmentation du corps », « ventriloquie », etc. Il s'agit, le plus souvent, de montrer que l'écriture diderotienne met en échec toute tentative de réduire le corps à ce que peut énoncer à son sujet la pensée discursive. Et, à ce titre : « pour autant qu['il] explore la pensée sous des formes incarnées, vivantes, changeantes, il ne représente sans doute pas un penseur typique des Lumières ».

Des sept chapitres qui composent le livre, le premier fournit l'armature théorique. Il s'agira, annonce-t-il, de penser ensemble corps et langage comme une « unité signifiante », que désigne le concept deleuzien de « corps-langage », qui renverrait, chez Diderot, à une « conception matérialiste du langage » pour laquelle la matérialité du langage est première par rapport au sens, et pour laquelle le corps constitue un « site oùs'inscrivent diverses strates de la société » dont il se fait l'expression. Le dialogisme serait donc au cœur de la démarche diderotienne, en tant qu'il « donnerait ainsi à voir le langage en mouvement », dans son opération de constitution de liens entre les [End Page 578] corps et leur environnement, dialogisme qu'il faut entendre ici au sens large, incluant la manière dont les corps interagissent les uns sur les autres et expriment les rapports sociaux qui les façonnent. Le point nodal de cette démarche est donc qu'elle se fonde sur l'idée que le langage, en dépit de l'illusion qu'il produit d'assurer une communication, voit celle-ci toujours remise en cause par l'opacité et la polysémie constitutive des signes, aussi « naturels » semblent-ils lorsque portés sur le corps, et ce, parce qu'il « n'y a pas de nature humaine unique, uniformément partagée par tous », qui conférerait au langage son point d'ancrage fixe. Évidemment, une telle conception du langage permettrait de justifier l'idée d'un Diderot s'écartant du « courant principal des Lumières ».

Les chapitres suivants présentent, pour ainsi dire, les résultats d'une application de cette conceptualité dans le cadre d'une lecture d'œuvres majeures de Diderot. Ainsi, une analyse du Neveu de Rameau (ch. 2 et 3) permet de mettre au jour l'idée que le bavardage de Lui, production d'un discours désorientant et indiscipliné, sous...

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