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  • La transparence chez Jeremy Bentham :de l'invisibilité d'un concept à sa publicité
  • Malik Bozzo-Rey (bio)

Comment aborder un concept dont la simple énonciation est devenue un mot d'ordre ou un slogan ? Car tel semble être le destin de la « transparence ». Qui n'a pas lu ou entendu les injonctions à la transparence durant la crise financière amorcée en 2008 ? Injonction censée protéger les démocraties et moraliser le système financier. Qui n'a pas lu ou entendu les violentes attaques contre le site Wikileaks — son fondateur justifiant son existence par la nécessité d'une transparence démocratique ? Violentes attaques pourtant lancées au nom de la démocratie mise en danger par cette volonté, justement, de transparence. La transparence, protectrice de valeurs et des processus démocratiques mais aussi danger pour la démocratie. Résoudre cet apparent paradoxe nécessite de s'interroger sur la force normative de la transparence et sur sa capacité, ou non, à intégrer des raisonnements politiques dans le cadre de nos sociétés démocratiques libérales.

Or, la transparence est un concept dont la normativité dans le libéralisme semble aller de soi mais qui contient en son sein les éléments de sa plus violente critique. C'est surtout un concept qui semble insaisissable par son essence même : la transparence ne saurait se dévoiler, ne saurait se donner à voir immédiatement, sans véritable travail philosophique. La question de son champ d'application reste cependant problématique : éthique, philosophie politique, économie, [End Page 89] droit constitutionnel ? Elle n'en reste pas moins un concept qui traverse sous différentes formes l'ensemble de la pensée libérale.

L'utilitarisme est une pensée qui a profondément marqué le libéralisme1 pour ne pas dire qu'il est constitutif de ce dernier. Pourtant, malgré la volonté évidente de se libérer du champ éthique dans lequel on a souvent tendance à le confiner, l'utilitarisme contemporain ne semble pouvoir se saisir de la transparence que sous une forme détournée ou à la suite d'une reconstruction2. Or, si l'utilitarisme entend jouer un rôle dans l'élaboration des politiques publiques3, des politiques internationales4, il ne nous semble pouvoir faire l'économie d'une réflexion et d'une théorisation d'un tel concept. Ce qui implique de le penser au-delà de la sphère privée et de questionner son statut normatif au sein de la sphère publique. Pourtant, ce n'est pas du côté des utilitaristes contemporains qu'il faut chercher une telle tentative. Il faut en effet remonter au fondateur de l'utilitarisme classique, Jeremy Bentham, pour saisir l'ampleur du manque des développements récents de l'utilitarisme.

Se donner comme objet d'étude la transparence chez Jeremy Bentham semble alors aller de soi tant ce terme lui est profondément associé. Pourtant, dès lors que l'on entend se saisir de ce mot et tenter d'étudier la conceptualisation à l'oeuvre dans les écrits benthamiens, nous ne pouvons manquer d'être perplexes. En effet, les occurrences sont fort peu nombreuses, pour ne pas dire quasiment inexistantes, toute définition ou conceptualisation de ce terme est absente de ses ouvrages y compris de ses textes sur le droit constitutionnel. Au contraire, un autre terme souvent associé à celui de transparence, la publicité, occupe une place importante voire centrale dans un certain nombre d'ouvrages5. Elle est définie, thématisée, conceptualisée et sert de pivot aux textes constitutionnels. Or, elle semble beaucoup moins attachée à la philosophie de Jeremy Bentham ; pour ne pas dire qu'il semblerait presque incongru de considérer la publicité comme un axe de recherche à propos de la philosophie benthamienne. Comment expliquer cet état de fait ? Comment expliquer qu'un concept invisible — la transparence — offre tant de visibilité alors qu'un concept si visible — la publicité — soit relégué dans l'obscurité ? La philosophie benthamienne doit-elle être pensée exclusivement à l'aide de l'un de ces deux termes ou, au contraire, autorise-t-elle, nécessite-t-elle...

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