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  • Charles-Robert Ageron entre mythe républicain et mythe impérial :Une histoire des mentalités manquée
  • Nadège Veldwachter (bio)

Lorsque le débat sur le passé colonial sort de ses tranchées « communautaristes » pour faire son apparition sur la scène politique dans les années 1990, loin de refléter une généalogie commune avec la genèse de la République dans le schème de l'histoire de France, il fait la matière d'une représentation discursive formulée et articulée comme superfétatoire, accidentelle presque. A l'heure actuelle, penser la nation est se saisir d'un objet dont l'examen a du mal à souscrire à la désacralisation d'un réflexe bien enraciné : l'apposition de deux entités supputées distinctes, voire opposées, républicanisme et impérialisme.

Afin de mieux comprendre les raisons pour lesquelles l'historiographie coloniale fut longtemps engagée sur une voie précaire dans le discours national, il convient de s'attarder quelque peu sur les instances de son intronisation dans l'Académie française.

L'institutionnalisation de l'histoire coloniale en France a connu des démantèlements entre 1950 et 1960 qui ont affecté non seulement les courants intellectuels mais aussi les pratiques politiques et sociales sur le long terme1. La disparition en 1961 de la chaire d'histoire coloniale de la Sorbonne, dans les traces de celle du collège de France, sans [End Page 941] oublier le programme des aires culturelles soutenu par Fernand Braudel dans le rapport Longchambon - il sera prolongé par la Sixième section de l'EPHE -, sonnent le glas de ce pan d'histoire dans les universités françaises. Même à l'issue des guerres d'Indochine et d'Algérie, l'histoire coloniale n'a su être constituée comme domaine historique de plain-pied. Résultat, la psyché collective française souffre d'un « trou de mémoire » selon l'expression de Nicolas Bancel et ses acolytes quant à la connexité qui lie intimement passé colonial et récit national. Il n'y a pour s'en convaincre qu'à se retourner sur les publications relatives à l'outre-mer qui restent proportionnel-lement mineures comparées à d'autres champs d'étude. Selon les données relevées par Vidal à la Bibliothèque annuelle de l'Histoire de France, elles étaient de 4,1% en 1955; 3,7% en 1980 pour chuter à 2,8% au courant des années 1990. Le constat se réplique au niveau des thèses. Soixante-dix thèses et une quarantaine d'ouvrages ayant comme sujet la traite et l'esclavage sont soutenues et publiés entre 1995 et 2005, contre 400 aux Etats-Unis pour la seule année 1999. Le racornissement intellectuel induit par la prééminence de la focalisation « franco-française » a longuement été décrié et débattu dans les cercles concernés par des historiens versés dans le sujet tels Gérard Noiriel, Marc Ferro, ou encore Caroline Douki et Philippe Minard. De manière exemplaire, les contentieux relatifs à la loi du 23 Février 2005 représentent l'une des formes les plus abouties de la tension entre partisans et contempteurs de la gémination républicanisme / impérialisme et de sa représentation dans l'histoire française. Comment se risquer à statuer sur un tel état de fait ? A quels intérêts politiques ou responsabilités mémorielles doit répondre une historiographie française qui se donne pour mission de recouvrer les modalités de construction d'une identité nationale qui s'est galvanisée autour de concepts tels « républicanisme » et « universalisme » ? Telles sont les questions à soulever. Elles relèvent d'une véritable gageure lorsque confrontées à certains conservatismes qui campent dans des positions exacerbant le clivage présumé entre mémoire et histoire.

L'exemple, qui fait encore date, de cet astigmatisme et idéologique et politique est celui de l'œuvre collective Les Lieux de Mémoire sous la direction de Pierre Nora. Cet ouvrage cyclopéen dans sa nature, acclamé par la critique nationale et étrangère, ne compte...

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