Le Clézio témoin du monde, and: Carnets de doute (Variantes romanesques du voyage chez J. M. G. Le Clézio) (review)

Spécialiste de Le Clézio depuis de nombreuses années, Claude Cavallero nous offre un ouvrage à l'écriture soignée sur une dimension fondamentale qui traverse l'œuvre leclézienne, par-delà son aspect complexe et protéiforme, et lui donne sa cohérence: à défaut de pouvoir agir sur le monde, l'écrivain peut en être le témoin. Le livre est composé de quatre parties. La première, "La vie dans les livres ou comment lire le monde," offre une approche biographique dont il ressort notamment que l'écriture est d'abord un témoignage de "l'évidence merveilleuse du monde et de la vie" (6). La deuxième partie, intitulée "Questions d'écriture," aborde la notion de réalisme dans une œuvre où l'aspect sociohistorique de l'écriture est important: "[…] l'arrière-plan tragique des contextes évoqués par l'auteur, qu'il s'agisse de l'exclusion dont souffrent nombre de personnages, des situations collectives d'exil et de marginalisation liées aux guerres de décolonisation ou au phénomène contemporain de l'immigration" (7). C. Cavallero traite également dans cette deuxième partie du "paradoxe esthétique de l'effacement," du rapport charnel de l'écrivain à l'écriture et de la polyphonie du récit. "Ailleurs et origine" est le titre de la troisième partie, qui propose une relecture de quelques thèmes lecléziens: "l'évocation de l'éternelle enfance et du syndrome de l'errance, l'attirance magique de la mer et du désert, […] la quête fascinée de l'origine" (10). L'ultime partie, "L'écrivain contemporain," aborde "[…] l'émergence du politique—liée à celle de l'utopie—et à la figure de l'intellectuel contemporain" (11). La démarche de Le Clézio n'y apparaît pas seulement comme celle d'un écrivain engagé porteur des valeurs humanitaires de tolérance et de respect, elle rejoint aussi une "[…] interrogation historique, […] l'observation anthropologique et […] une spéculation d'ordre mythique et poétique" (11). Voyage enthousiaste et enchanteur au pays de Le Clézio, ce livre mûri qui témoigne d'une solide et intime connaissance de l'œuvre est riche en réflexions, références et perspectives. Thème majeur de l'œuvre de Le Clézio, le voyage est étudié par Isa Van Acker dans trois romans importants et représentatifs, auxquels sont consacrées successivement chacune des trois parties de l'ouvrage: "La fuite ou le voyage mis en question: Le Livre des fuites," "La quête ou le voyage réinventé: Le Chercheur d'or," et "L'errance ou le voyage fragilisé: La Quarantaine." L'auteur y examine finement, en prenant en compte le détail du texte, la géographie imaginaire, "[…] les modalités selon lesquelles [les] personnages s'y meuvent, ainsi que les rapports métaphoriques et discursifs que les narrateurs-protagonistes entretiennent avec l'espace" (267). Le sujet est contraint au voyage par son incapacité à nouer des relations durables avec un lieu, que ce soit "d'appartenance ou d'altérité." Ses déplacements relèvent d'une "recherche identitaire." Il ressort de l'étude que la mythification du voyage s'allie à une "mise en doute" qui prend successivement "la forme d'une fuite frénétique, d'une quête mythifiée ou d'une errance incessante" (267) selon les romans. Conformément à la tendance de toute une littérature du voyage et de l'aventure au tournant du vingt et unième siècle, les romans de Le Clézio sont caractérisés par une grande littérarité du récit. Celle-ci repose au premier chef sur l'importance accordée au signifiant à travers les rythmes...