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Nineteenth Century French Studies 31.3&4 (2003) 297-310



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A propos du "Rachildisme" ou Rachilde et les lesbiennes

Dominique D. Fisher


La lesbienne hante l'espace romanesque rachildien fin de siècle dans un contexte décadent pour le moins ambivalent. Car si Rachilde a été parmi les premières femmes à introduire des lesbiennes dans ses œuvres et à les utiliser pour déstabiliser les frontières entre les sexes et les genres, il n'en reste pas moins que la lesbienne alimente souvent chez elle une misogynie et un antiféminisme notoires. A la fois objet de fascination et de mépris, la lesbienne n'assumerait par ailleurs qu'un rôle périphérique, quand bien même il s'agirait d'en faire un personnage central. Ainsi dans Madame Adonis (1889), Marcelle Désambres entre en scène en travesti et lorsqu'elle dévoile son identité sexuelle, elle trouve la mort. Ailleurs, la lesbienne occupe une place extrêmement marginale dans la narration. Si elle se révèle en tant que telle, elle est tout de suite dégradée, évincée de la narration, puis symboliquement mise à mort. Dans La Marquise de Sade (1887), la comtesse de Liol est présentée comme une femme fatale et dans Monsieur Vénus (1884), la lesbienne est reléguée au rang de la prostituée. 1 Dans Les Hors-nature (1897), l'actrice Marguerite Florane est rapidement ridiculisée par les ragots qui courent sur son compte, c'est-à-dire son lesbianisme. Lorsque celle-ci se trouve en tête à tête avec l'impératrice byzantine, Irène, qui est venue tout spécialement dans sa loge pour la séduire, elle découvre soudain avec horreur, qu'il s'agit non pas de l'impératrice, la femme qu'elle désire, mais de Paul-Eric, travesti et homosexuel, dont elle est le jouet. Elle s'empresse alors de renier son attirance pour l'impératrice et de déclarer à Paul-Eric son amour. Au même moment les comparses de Paul-Eric qui viennent d'observer toute la scène de séduction par un trou fait dans le mur de la loge de l'actrice, consacrent l'entrée de Marguerite et de Paul-Eric dans l'ordre normé hétérosexuel. [End Page 297]

La lesbienne n'a de place dans l'espace rachildien que spectralisée. Spectralisée, au sens où Terry Castle emploie ce terme, car si la lesbienne hante bien les soubassements de l'œuvre Rachildienne, c'est en tant que représentation médiatisée par les clichés de l'époque et l'imaginaire Rachildien, lui-même voué à des prises de positions contradictoires, en l'occurrence, une certaine fascination pour l'homosexualité masculine et la tentation du lesbianisme, le tout allié à une morale profondément misogyne. Omniprésente, la lesbienne rachildienne reste pourtant invisible en tant que telle et n'est présentable que sous les masques du travesti ou de la femme fatale vengeresse. Elle est par ailleurs présentée comme un "petit frère inférieur" (Pourquoi je ne suis pas féministe, 32), comme une mauvaise copie du mâle.

Toutefois dans Pourquoi je ne suis pas féministe (1928), Rachilde n'ignorait pas l'homophobie foncière de la société de l'époque qui consistait à lui dénier son identité générique et sexuelle et à l'associer constamment à l'homo-sexualité masculine. Elle rapporte le commentaire suivant que son ami Jean Lorrain, qui était homosexuel, lui avait fait sur sa tenue vestimentaire: "je ne vais plus pouvoir sortir avec vous, je ne tiens pas à me compromettre" (69). Si ce commentaire ironique semble aujourd'hui pouvoir défier les normes du système sexe-genre, il ne semble pas que ce soit le cas dans le contexte de l'époque. En effet, dans Les Fellatores (1888) texte ultra homophobe et ultra misogyne, Dr. Ruiz (alias Paul Devaux) accuse Rachilde de "Rachildisme." Le Rachildisme n'est rien d'autre...

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