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  • Modèles politiques et mouvements sociaux en Espagne :influences françaises et échanges internationaux dans le long XIXe siècle
  • Jorge Uria*

Les articles de ce dossier abordent deux aspects intéressants de l'histoire espagnole : les échos du mouvement révolutionnaire international et l'impact des tendances qui animent l'ensemble du syndicalisme européen sur les organisations sociales du pays. Ces deux questions s'inscrivent dans un contexte plus large, l'histoire complexe et ambivalente des influences, des contacts et des relations de l'Espagne avec le monde politique et les mouvements sociaux européens et américains. Les pages qui suivent exposent les grands jalons de cette histoire.

Pour des raisons évidentes, la France a toujours joué un rôle primordial dans le système de contacts et de réseaux liant l'Espagne à son environnement international. Le facteur géographique favorisait ces échanges, bien entendu, et le Portugal a connu lui aussi un flux de réfugiés politiques et des contacts de tous types entretenus avec l'Espagne, même si ce dernier aspect n'est pas abordé ici. Mais la France avait, de ce point de vue, un rôle particulier car son évolution politique offrait un accueil plus favorable aux réfugiés espagnols les plus libéraux. Il va sans dire que son prestige, son éclat culturel et son poids international, ainsi que la richesse et la vigueur de son histoire politique, pesaient également.

L'Espagne vue de France, la France vue d'Espagne

Les perceptions réciproques de la France et de l'Espagne reposent sur de nombreux stéréotypes et préjugés. La circulation des modèles de participation civique, politique ou syndicale - questions qui reviennent constamment dans le processus d'implantation et de développement de la démocratie et de la société civile - ne suit pas un chemin simple et linéaire. Entre autres parce que « les transferts de modèles d'un pays à un autre payent aussi un 'tribut' », tant la réception de tout modèle suit « un processus d'acclimatation qui le rend parfois méconnaissable »1. [End Page 3]

L'examen de toutes ces questions est donc complexe. Le regard de la France sur l'Espagne, par exemple, emprunte un bon nombre de stéréo-types à la légende noire qui s'était développée en Angleterre aux XVIe et XVIIe siècles, dans un contexte de rivalité coloniale et religieuse avec la monarchie espagnole. Le paternalisme impérial britannique, le libéralisme anglican et conservateur du XIXe siècle, ainsi que l'interprétation romantique projetée sur un pays considéré comme primitif, ont fait durer ces clichés jusqu'aux années 1930. Les études littéraires ou artistiques n'ont pas réussi à corriger entièrement cette vision d'une Espagne affligée par l'ignorance et une violence fanatique2.

Les hommes politiques et les historiens français partagent en général nombre de ces stéréotypes. Bien que l'empreinte de la légende noire n'ait jamais été aussi profonde qu'en Grande-Bretagne, historiquement plus active dans la diffusion des textes anti-espagnols, elle n'a pas moins marqué la France3. Ces clichés se sont renforcés durant la période napoléonienne, le projet impérial se donnant la mission de sauver la société espagnole de l'intolérance et du fanatisme de ses dirigeants. Une fois l'empire colonial espagnol liquidé et le processus de déclin enclenché, tant sur la scène internationale que sur le plan économique, une autre vision de l'Espagne s'est développée. À l'heure du romantisme, le pays apparaît désormais comme pittoresque, exotique et arriéré. Cette nouvelle perception s'accompagne de quelques notes d'africanité et dote l'Espagne d'« un 'bon peuple' rude et primitif, mais héroïque et authentique, assoiffé d'indépendance et séculairement maltraité par ses dirigeants »4. Sur cette base ambiguë, les récits pittoresques de Théophile Gautier ou de Prosper Mérimée, le philo-hispanisme de Victor Hugo, sans...

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