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  • Le cinéma documentaire contemporain en Suisse romande:Jean-Stéphane Bron, figure de proue
  • Alain Boillat

Le documentaire, pratique dominante dans l'histoire du cinéma suisse

Dans un pays dépourvu d'industrie cinématographique comme la Suisse, l'histoire de la production nationale est sans conteste dominée par le "genre" documentaire, qui requiert des structures de production moins lourdes que la fiction. En outre, privilégiant des canaux de diffusion différents de ceux empruntés par le long-métrage fictionnel,1 le film documentaire dépend moins directement du succès public. Jusqu'au milieu des années 1960, la très grande majorité des productions cinématographiques réalisées en Suisse s'inscrivent dans la catégorie du "film de commande" (films éducatifs, industriels, touristiques, etc.), les cinéastes ou firmes (en particulier la Condor et la Praesens à Zurich) étant mandatés par diverses institutions, associations et entreprises pour réaliser un produit conçu à des fins de publicité, de propagande, d'information ou de prévention. Depuis une dizaine d'années, les recherches académiques menées dans les départements de cinéma des universités helvétiques2 ont permis de cartographier quelque peu ce vaste corpus filmique3 qui, en dépit du savoirfaire certain dont témoignent ses différents acteurs, se situe bien loin des pratiques qualifiées d'"artistiques" et de "l'auteurisation" du réalisateur. En général, ces réalisations documentaires passent à la trappe dans l'historiographie du cinéma suisse, qui tend à privilégier le modèle dominant et légitimé du film de fiction.4

La prééminence du film de commande amorcera un (lent) mouvement de recul—du moins en termes de visibilité—avec l'entrée en [End Page 209] vigueur, en 1963, d'une loi fédérale stipulant la mise en place d'un soutien étatique au cinéma documentaire: une distinction s'opère dès lors entre les films de commande et les films "d'auteurs," considérés, quant à eux comme des objets culturels5. Cette loi d'aide fédérale est symptomatique du primat accordé au documentaire dans la production helvétique puisque, dans un premier temps, elle s'appliquait exclusivement à ce type de films, la fiction n'étant prise en compte que sur le plan de l'octroi de primes à la qualité6. Il faudra attendre 1969 pour qu'une révision soit effectuée qui permettra un élargissement de cette législation au cinéma de fiction, les montants alloués demeurant toutefois très modestes—et par conséquent peu adaptés aux films de fiction. Ce contexte de production explique en grande partie l'orientation documentaire adoptée par certains des plus importants cinéastes suisses (alémaniques) comme Richard Dindo, Alexandre J. Seiler ou, dès les années 1980, Christian Frei. Aujourd'hui encore, la programmation des Journées cinématographiques de Soleure, festival annuel fondé en 1966 et consacré à l'ensemble de la production nationale, est un indice de cette importance du documentaire, en particulier chez les cinéastes d'expression allemande.7

La Suisse romande: une tendance à la fiction

Si nous précisons l'origine linguistique et culturelle des cinéastes, c'est que le constat de la prééminence du documentaire en Suisse doit être quelque peu nuancé pour la Romandie: même s'ils ont fait leurs armes dans le documentaire—en particulier à la télévision,8 mais aussi, dans le cas d'Alain Tanner et Claude Goretta, dans la mouvance du free cinema britannique, avec Nice Time, 1958—, les cinéastes du "Nouveau Cinéma suisse" revendiquent, à la fin des années 1960, le développement d'un cinéma de fiction, s'inspirant en particulier de la Nouvelle Vague française apparue dix ans auparavant, notamment en ce qui concerne la liberté du ton et l'économie de moyens. Mais cet engouement pour la fiction n'en demeure pas moins marqué, notamment en termes de parcours des cinéastes, par la pratique du documentaire. Ainsi le réalisateur Yves Yersin travaille-t-il, dans une démarche...

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