Cinéma documentaire et expériences féminines en Afrique francophone

Introduction

Malgré une récente révolution technologique qui a relativisé les coûts de production, une rapide observation des films d'Afrique francophone ainsi que des travaux qui y sont consacrés autorise au moins deux remarques. D'abord, en dehors des études de Nwachukwu Frank Ukadike (1994, 1995), Sheila Petty, Nacy Schmidt (1999) et de Sophie Hoffelt (1998) ou des nombreuses chroniques d'Olivier Bartlet dans le magazine Africultures, peu d'études s'intéressent au documentaire (féminin). Ensuite, il est tout aussi évident que jusqu'à récemment, peu de femmes se sont activement engagées dans ce genre, ce qui, en soi, n'est pas une situation particulièrement "africaine" puisque cet état de choses est comparable à ce qui s'est vu ailleurs (Hoffelt, 1997, 22). On peut aussi noter que si, avec Anne-Laure Folly, dont le film Femmes aux yeux ouverts (1993, Prix Unesco) a connu un énorme succès, on se situe essentiellement dans une tradition de documentaire social qui réduit le discours filmique à certains lieux "féminins," à savoir la répétition d'une rhétorique connue sur les avatars d'une société patriarcale et sexiste, on assiste, avec Oswalde Lewat, à une "transgression" par laquelle cette réalisatrice camerounaise rentre dans un territoire "viril," à savoir la mise à l'index des errements tragiques d'un pouvoir postcolonial qui avait fait la marque d'un Jean-Marie Teno par exemple. L'oeuvre de ces femmes ne constitue pas seulement ce que Nwachukwu Frank Ukadike (1995) appelait "The Other Voices of Documentary." Dans leur cas, il s'agit non seulement d'autres voix, mais aussi d'autres manières de voir qui mettent en oeuvre une sensibilité alternative à laquelle la culture cinématographique ne nous avait pas habitués en Afrique noire francophone. Ces deux réalisatrices (peut-être Folly plus que Lewat), comme beaucoup d'autres, se situent dans une démarche qui permet, selon Sophie Hoffelt d'évaluer

un projet cinématographique qui permette de produire, de réaliser, de recevoir et discuter les films de femmes noires, générant de nouvelles images et de nouveaux concepts, où puisse continuer de se parler la complexité féconde de la condition féminine noire aujourd'hui. En effet, loin d'être militante et idéologique, l'image de la femme dans les films de cinéastes africaines est montrée dans son quotidien, dans la réalité de ce qu'elle vit au jour le jour. Le choix du documentaire permet aux réalisatrices de leur donner la parole, afin de recueillir les témoignages et les filmer dans leur intégrité

(1997, 31, je souligne).

Quoiqu'en dise Hoffelt, on sait au moins depuis les travaux de Christian Zimmer (1974) et, plus récemment, de Michael Chanan (2007), qu'il est difficile de trouver une création cinématographique qui ne soit pas militante, ou tout moins subtilement idéologique. Cet article vise à déterminer les conditions d'émergence d'un documentaire africain par les femmes et à définir de nouvelles forces narratives et esthétiques propulsées par des déterminations théoriques, sociales et politiques. En partant de deux films cardinaux dans l'expression cinématographique féminine contemporaine (Femmes aux yeux ouverts et Une Affaire de nègres), nous aborderons deux pratiques différentes, mais complémentaires dans leur mise en scène d'enjeux sociopolitiques actuels. On remarquera qu'entre le récit de l'ostracisme suranné dont sont victimes les femmes dans divers pays et la révélation de la mémoire, du mal politique et de la douleur masculine, la différence se mesurera moins dans le propos que dans la stratégie de sa construction filmique. Après avoir examiné le dispositif historique de l'expérience cinématographique féminine, je me servirai de deux films d'Anne-Laure Folly et d'Osvalde Lewat pour définir les variations observables dans deux pratiques documentaires contemporaines.

Des femmes et du cinéma (documentaire)

Dans l'introduction du volume Ngambika: Studies of Women in African Literature, Carol...