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Reviewed by:
  • Les douleurs de l'industrie. L'hygiénisme industriel en France
  • François Jarrige
Caroline Moriceau . - Les douleurs de l'industrie. L'hygiénisme industriel en France. Paris, Éditions de l'EHESS, 2009, 317 pages. « En temps et lieux ».

L'ouvrage de Caroline Moriceau constitue une contribution de premier ordre au champ d'étude en plein développement consacré à la question des risques et de la santé au travail, à l'histoire de l'hygiénisme et des politiques publiques au siècle de l'industrialisation 3. Le titre du livre - très beau - dit parfaitement quelle est son ambition : saisir à travers le regard des experts de l'hygiène des usines et des ateliers ce qui fait le quotidien invisible de l'espace de travail. Longtemps, l'histoire sociale du monde ouvrier s'est passionnée pour les écrits et les témoignages populaires, et a recherché les traces d'une « parole ouvrière » qui dirait, mieux que les témoignages des élites, ce qu'était l'expérience vécue du travail. Apparemment, l'ouvrage de Caroline Moriceau rompt avec cette ambition en privilégiant la littérature secondaire, les écrits et publications des hygiénistes. Mais c'est pour finalement mieux revenir à l'expérience vécue du travail, à partir d'un regard plus éclairé.

L'étude démarre en 1860 avec la publication par le docteur Maxime Vernois du premier traité d'hygiène industrielle : ce texte ouvre un demi-siècle d'observation intensive des risques professionnels et de la condition des travailleurs. Elle se déploie ensuite en trois parties logiques. Il s'agit d'abord de saisir la « généalogie d'un regard » en étudiant l'émergence progressive de ce nouveau domaine de connaissance qu'est l'hygiénisme industriel. Au milieu du XIXe siècle, l'hygiène industrielle constituait finalement une préoccupation assez générale, banale, non formalisée, commune à des milieux et des groupes d'intérêts divers. La nouvelle discipline annoncée au cours des années 1860 semble devoir être le lieu d'une combinaison efficace des différents regards portés jusque-là sur le travailleur manuel en vue de l'amélioration de son état physique : celui de l'administration et des conseils d'hygiène, celui des médecins philanthropes et de certaines institutions comme l'Académie de médecine. L'auteur examine comment se construit la nouvelle discipline à partir de ces diverses traditions éclatées, elle montre à quel point le succès du processus d'autonomisation de ce champ dépend de la « capacité de ses hérauts à construire précisément l'objet de leur investigation en y attachant une méthode appropriée » (p. 63).

Dans la deuxième partie il s'agit d'étudier cette « communauté active » des hygiénistes en suivant le processus de spécialisation et d'institutionnalisation progressive de la discipline, sa mise en revues, sa diffusion dans les départements, les facultés de médecine ou les conseils d'hygiène, sa technicisation croissante à la veille de 1914 lorsque s'impose le modèle du laboratoire. Selon des logiques bien connues des historiens, les promoteurs de l'hygiénisme industriel inventent progressivement [End Page 131] une discipline scientifique qui se veut autonome avec ses lieux de reproduction et de légitimation. Mais cette communauté change aussi au cours de la période. Avec l'enracinement de la Troisième République, le « temps des toxicologues et des légistes », soucieux de débusquer les substances toxiques et leurs effets sur le corps de l'ouvrier, laisse la place aux temps héroïques des premières législations protectrices. De plus en plus l'hygiénisme industriel devient une discipline technique vouée à l'assainissement des atmosphères de travail. En s'affirmant, la discipline rencontre aussi les tensions incessantes qui opposent les logiques scientifiques et les intérêts industriels. À travers l'examen de quelques grandes « affaires » - l'interdiction de la céruse des peintres au début du XXe siècle, le phosphore et la fabrication des allumettes ou l'intoxication au mercure - l'auteur montre...

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