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REVIEWS/COMPTES RENDUS713 Sandrine Aragon. Des liseuses enpéril: Les Images de lectrices dans les textes defiction de « La Prétieuse » de l'abbé de Pure à « Madame Bovary » de Flaubert (1656-1856). Paris: Honoré Champion, 2003. 732pp. €120. ISBN 2-7453-0666-9. Le topos du roman corrupteur constitue le point de départ de cette vaste et passionnante étude sociopoétique qui, sur trois siècles, analyse les images de lectrices dans les textes de fiction les mieux connus aujourd'hui ou les plus lus dans le passé, publiés entre 1656 et 1856. Le choix de cette périodisation sejustifie, selon Sandrine Aragon, par les changements majeurs qui se produisent après 1650 et vers 1850, à la fois dans l'histoire de l'alphabétisation féminine et la formation du champ littéraire. Le premierjalon choisi, La Prétieuse de l'abbé de Pure, n'est pas très éloigné de l'acte de naissance des précieuses en 1654, et le dernier, Madame Bovary, réunit tous les vices attribu és aux lectrices de romans depuis deux siècles. Entre ces deux bornes se dessine une évolution marquée par des variations et des zones de ressemblance, notamment entre les fictions qui ouvrent l'enqu ête et celles qui la referment. Pour la majorité des écrivains masculins de la seconde moitié du XVIIe siècle, comme plus tard pour un Rousseau et un Flaubert, « la lectrice s'apparente à Eve séduite par le serpent métamorphosé en roman moderne » (673) . Les romans ne sont pas seuls à être incriminés, puisque les lectrices décrites dans la cinquantaine d'oeuvres sélectionnées s'intéressent aussi à la poésie, au théâtre, aux formes brèves à la mode au XVIIe siècle, et que les femmes les plus instruites se plongent volontiers dans les ouvrages d'érudition. Les lectrices fictives sont censées être à l'image des lectrices réelles méprisées par les clercs, parce que, ne connaissant pas le latin dans la majorité des cas, elles « n'ont pas accès à la culture savante » (20). Cette absence durable de reconnaissance masculine permet de mieux comprendre Gofficialisation tardive du substantif féminin « lectrice », en 1835, dans la sixième édition du Dictionnaire de l'Académie, alors que son doublet « liseuse » existe dans la langue dès le XVIIe siècle (23-24). Cette difficile légitimation explique aussi (ou s'explique par) l'abondance des images négatives de lectrices dans les œuvres de fiction masculines: les femmes y sont généralement portraiturées en viragos « entêtées » de lecture, en « visionnaires » (152) ou en suppôts du diable. D'après Sandrine Aragon, plusieurs écrivains font exception, comme Segrais, Marivaux et, dans une certaine mesure, Balzac, mais c'est véritablement sous la plume des femmes que les portraits de lectrices dans les fictions s'améliorent et gagnent en nuance. La première femme écrivain étudi ée, Madeleine de Scudéry, prend le contrepied des accusations portées contre les précieuses en dépeignant des lectrices « honnêtes » (91 et suiv.). Àdesdegrés divers, les auteurs de contes de fées, tellesMlle Lhériuer etMme d'Aulnoy, et plus tard les romancières Caroline de Genlis, Isabelle de Charrière, Germaine de Staël et George Sand, en particulier, tendent à 714 EIGHTEENTH-CENTURYFICTION 17:4 éloigner leurs personnages féminins du rôle d'Eve pécheresse s'adonnant à la lecture comme à une activité dangereuse et prohibée. De nombreuses « médiations » (20) sont prises en considération dans l'analyse de ces images de lectrices: le genre des œuvres lues, la langue et le registre de langue des héroïnes, l'auteur, le champ littéraire, l'horizon d'attente du lectorat de chaque époque considérée. La Querelle des Anciens et des Modernes est déterminante dans l'évolution des descriptions de lectrices, les Modernes étant plus favorables que les Anciens à l'éducation des femmes. Pour chaque période et chaque auteur étudié, Sandrine Aragon s'interroge sur les modalités de l'acte de lecture. Le choix des livres, les objectifs et les...

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