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  • Albert O. Hirschman : An Intellectual Maverick
  • Annie L. Cot* (bio)

An intellectual maverick : dans le domaine des idées, et plus encore des idées économiques, Albert Otto Hirschman a toujours été un franc-tireur1. Brillant, admiré, célébré, reconnu, mais irréductiblement franc-tireur. Le mot est appelé par sa propre histoire, qu’il convoque souvent à l’appui de ses thèses. Il fait écho à ses engagements antifascistes, à ses fulgurances d’expert non-conformiste dans le domaine du développement, à ses combats civiques, à ses fortes intuitions analytiques en matière de théorie économique, à ses apports à l’histoire intellectuelle de notre temps – et avant tout à cette liberté de pensée sans pareille qui a toujours marqué ses écrits.

Pour retracer quelques linéaments de la pensée économique de Hirschman, on proposera ici quatre éclairages. Celui de sa biographie, dont il retisse le récit tout au long de ses écrits de maturité (1. Confession d’un dissident). Celui de l’œuvre théorique majeure2, qui le détache de la réflexion sur l’expertise économique et ouvre l’espace intellectuel d’une redéfinition des frontières – donc du territoire – de [End Page 61] la théorie économique (2. Les passions et les intérêts). Celui des résonances, des complicités, des confluences avec ce qui se mettait en place, à l’époque, comme nouveaux programmes de recherche dans le domaine d’une théorie économique qui cherchait à échapper aux dogmes de l’orthodoxie (3. « Avant tout un économiste » : plaidoyer pour une économie morale et politique). Celui, enfin, de la méthodologie, de la démarche intellectuelle, au centre de l’œuvre, qui inscrit Albert Hirschman dans une modernité dont il constitue, pour longtemps encore, une référence centrale (4. Un certain penchant à l’autosubversion).

1. Confession d’un dissident

Albert O. Hirschman est souvent revenu sur sa vie, dont il reliait intimement les différentes séquences à son œuvre théorique. Une vie, il est vrai, où les choix successifs qu’il a faits l’ont conduit dans les villes et aux instants où s’écrivait l’histoire du siècle. A Berlin, où, très jeune (il est né en 1915), il entre aux Jeunesses Socialistes et participe à la Résistance contre les nazis. A Paris, où il arrive en 1933 et où il commence des études d’économie3. A Londres, où, en 1935, à la London School of Economics, il suit les cours de Hayek et Robbins, découvre en parallèle les travaux de Keynes et des membres du Circus4, et participe à des séminaires sur les nouveaux préceptes keynésiens de politique économique5. A Trieste, où il s'engage aux côtés des antifascistes italiens6. A Barcelone, où il rejoint pour quelques mois les rangs de l'armée des Républicains. A Trieste, encore, où il soutient sa thèse en 19387. A Paris, où, de retour en France, il collabore aux travaux du tout nouveau Institut de recherche économique et sociale aux côtés de Charles Rist et de Robert Marjolin8. A Marseille, où, engagé comme volontaire étranger dans l'armée française9, il rejoint le réseau d’aide aux intellectuels pourchassés par le régime de Vichy monté par Varian Fry10. A New York, vers où il s’embarque11 lorsque, devenu le second de Fry, il est sur le point d'être arrêté en décembre 1940. A Alger, où l’envoie l'armée américaine dans les rangs de laquelle il s’est engagé en 1943. A Rome, où il sert d’interprète lors de l’un des premiers procès de criminels de guerre allemands. A Washington, où il se trouve, au Federal Reserve Board, au cœur du groupe des « keynésiens américains » pendant toute la durée du plan Marshall, pour travailler, comme économiste, dans le cadre du « Programme de reconstruction européenne ». A Bogotá, où la Banque mondiale le recommande, en [End Page 62] 1952, comme expert financier auprès du nouveau Conseil national de la planification de Colombie12.

Vient...

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