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  • L’informatique en France de la Seconde Guerre mondiale au Plan Calcul. L’émergence d’une science
  • Patrick Fridenson
Pierre-Éric Mounier-Kuhn.- L’informatique en France de la Seconde Guerre mondiale au Plan Calcul. L’émergence d’une science. Paris, Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2010, 718 pages. Préface de Jean-Jacques DUBY. « Centre Roland Mousnier ».

La naissance d’une discipline nouvelle dans l’enseignement supérieur et la recherche est un pain bénit pour l’histoire sociale : par la construction d’un nouveau champ et de contenus et méthodes originaux, par la constitution d’un groupe social de spécialistes et sa lutte face aux disciplines antérieures, par ses rapports avec les forces culturelles, scientifiques, économiques, politiques au sein de la société nationale et de la communauté internationale, par la formation d’étudiants. L’informatique est un exemple particulièrement topique. D’une part, elle est aujourd’hui la discipline qui compte le plus d’enseignants-chercheurs titulaires 9. D’autre part, elle a vu, non sans problèmes parfois, l’émergence en son sein d’enseignements sur informatique et société. Enfin son implantation en France est le fruit d’une histoire particulièrement dramatique ici exposée. [End Page 197]

L’historien Pierre Mounier-Kuhn avait suscité notre appétit intellectuel par de nombreuses publications d’articles. Il nous donne aujourd’hui, tiré de sa thèse de doctorat dirigée par le regretté Jean-Jacques Salomon, le livre que l’on attendait. Son argument de fond est triple.

Par rapport aux autres pays industriels, la France se caractérise longtemps, selon lui, par l’écart entre les ambitions de ses acteurs industriels et étatiques et les réalisations effectives. En 1947 elle affirme avoir une « avance théorique » en « calcul électronique ». Or elle est le seul pays où la recherche publique ne réussit pas à construire d’ordinateur avant 1960. En 1967 elle est obligée de lancer un Plan Calcul pour rattraper son retard. L’auteur explique ce décalage par « les séquelles de la guerre, les spécificités du milieu mathématicien français et par la faible demande de calcul au début de cette période, faiblesse elle-même liée à la situation des industries électrique et aéronautique ».

Par conséquent, si l’informatique s’est quand même développée dans notre pays, c’est grâce à des universitaires innovants. Ils sont analysés comme des entrepreneurs intellectuels, dont certains ont des personnalités tranchantes. L’accent est mis sur leur collaboration avec des industriels et des services techniques de l’État, militaires certes mais aussi civils, et sur la réalisation de formes diverses de coopération dans un cadre régional. Un relais de croissance par rapport à la période pionnière est fourni par l’explosion du marché du travail, qui longtemps n’a cessé de réclamer advantage d’informaticiens.

En arrivant ainsi à la légitimité et à la notoriété, au cours des années 1960 et 1970, l’informatique française s’est elle-même transformée. Du « calcul électronique, outil au service des ingénieurs et des mathématiques appliquées », soit un ensemble de technologies, elle est passée à un corpus à part entière, une science, qui a contribué à une recomposition de bien des champs scientifiques. L’auteur explique cette mutation par des raisons fonctionnelles : « la nécessité de formaliser les savoirs pour les enseigner », par la conviction acquise par les dirigeants des organismes publics de recherche et des administrations qui lui accordent leur reconnaissance : « la volonté modernisatrice des dirigeants de la politique scientifique » et par le rapport mutuel entre la nouvelle science conquérante et une société en mouvement : « le besoin de mieux comprendre ce que l’on faisait en concevant des systèmes informatiques, afin d’améliorer les performances des ordinateurs et d’étendre leurs champs d’application dans la société ».

Cette analyse cohérente est étayée par des archives publiques variées, françaises et étrangères, par de nombreuses sources orales et de la correspondance, et par une forêt de...

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