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  • Jalons pour une histoire sociale de la science et des établissements d’enseignement supérieur en France depuis 1945
  • Jean-Michel Chapoulie, Patrick Fridenson, and Antoine Prost*

En 2007, lors d’une de ces discussions générales auxquelles périodiquement le Comité éditorial de la revue Le Mouvement Social se livre pour examiner les thèmes d’avenir de l’histoire sociale, l’un d’entre nous, Antoine Prost, a proposé les mutations de la science et des universités en France depuis 1945. Cette suggestion a fait aussitôt l’unanimité. Le rôle de la science s’est immensément étendu. Sans revenir aux thèses des économistes tchèques des années 1960 sur « la révolution scientifique et technique », la science, les marchés, la politique, la guerre sont de plus en plus liés, à l’échelle locale, nationale et internationale. La science est aussi devenue l’objet de contestations de la part d’acteurs de la société civile. Les organismes de recherche publics se sont multipliés, ont pris une grande importance et peu à peu se sont liés aux universités. Les universités se sont affirmées comme des acteurs à part entière. Elles ne se limitent pas à la transmission des connaissances. Elles créent des connaissances et elles exercent de façon croissante un rôle culturel, social et économique. Leurs implantations ont été élargies à la majorité du territoire métropolitain et à l’outremer. En leur sein les étudiants, les enseignants-chercheurs, les enseignants, les chercheurs et les autres personnels (ingénieurs, administratifs, ouvriers, techniciens, sociaux-santé, ceux des bibliothèques) se font entendre, tandis qu’ils interviennent dans la vie publique. L’État, l’armée, les collectivités territoriales, les entreprises de l’agriculture, de l’industrie et des services, les maisons d’édition ont de plus en plus l’œil sur l’expansion universitaire. Les organismes internationaux dès les années 1950 (à commencer par l’OECE et l’OTAN) font de même. Forces politiques, syndicats de salariés et de patrons, associations trouvent dans ce monde social qui s’accroît un vivier pour renouveler leurs membres et dirigeants et un espace d’intervention. Désormais l’accès à l’enseignement supérieur est un enjeu pour les familles et les jeunes, les inégalités sociales et de sexe en la matière comme les disparités territoriales constituent un problème politique, les effectifs étudiants, l’échec ou la réussite au cours des études, ainsi que le chômage ou l’emploi des diplômés passent au rang de préoccupation majeure à la fois des établissements et de la nation. Pour l’histoire sociale la matière est donc ample. [End Page 3] Le Comité éditorial, après avoir dressé une liste idéale de nombreux types de sujets sur lesquels la publication de recherches serait souhaitable, a donc décidé, à titre de première application de cette orientation, la mise en chantier d’un numéro spécial 1. C’est celui que vous avez sous les yeux. Il paraît au moment précis où, en anglais, est publiée la première histoire des universités en Europe depuis 1945 2.

Réflexions préalables

La préparation de ce numéro a été l’occasion de trois constats.

Le premier est la profusion d’idées reçues sur le sujet, généralement paresseuses ou fausses, que l’on trouve dans le débat franco-français et sur Internet. Tout le monde en France, à commencer par les universitaires, les chercheurs ou les grands et petits patrons, croit connaître l’histoire récente des organismes de recherche, de la recherche en entreprise, du dualisme des universités et des écoles. Or il n’en est rien, et cette méconnaissance des faits les plus élémentaires, des statistiques dont un grand nombre sont désormais disponibles en ligne ou dans des rapports officiels (ici exploités avec ardeur dans l’article de Jean-Yves Mérindol) et de l’histoire donne lieu à des discours déconnectés des transformations des pratiques, à l’oubli fréquent...

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