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  • L'antisémitisme à gauche. Histoire d'un paradoxe, de 1830 à nos jours
  • Emmanuel Debono
Michel Dreyfus.- L'antisémitisme à gauche. Histoire d'un paradoxe, de 1830 à nos jours. Paris, La Découverte, 2009, 346 pages.

Pour son dernier ouvrage, Michel Dreyfus a entrepris d'explorer le sujet ardu des liens entre la gauche et les discours antisémites. Certaines accusations portées contre la gauche et l'extrême gauche liées aux soubresauts en France du conflit israélo-palestinien depuis le début des années 2000 justifient aux yeux de l'auteur – historien de la gauche et historien de gauche, comme il se définit lui-même – que l'on scrute minutieusement les rapports de ce territoire politique au phénomène antisémite. Des travaux plus ou moins récents ont porté sur certains aspects du sujet ; le travail de Michel Dreyfus a le mérite de l'étudier sur un temps « long », de 1830 à nos jours : cet angle large permet d'éclairer le lecteur sur l'évolution d'un phénomène soumis [End Page 124] aux aléas des conjonctures politiques, nationale et internationale, et notamment sur ses ruptures et ses permanences.

L'auteur décrit une première phase qui remonte aux débuts du socialisme (1830-1880). Elle se caractérise par un antisémitisme économique, partiellement hérité de l'antijudaïsme chrétien, et qui trouve à s'affirmer dans le contexte d'une révolution industrielle marquée par la surexploitation ouvrière. On le trouve présent, à divers degrés et avec diverses nuances de ton, sous les plumes des théoriciens français du socialisme que sont Charles Fourier, Alphonse Toussenel, Pierre-Joseph Proudhon ou encore Auguste Blanqui. Dominent ici les images du Juif usurier, agioteur, maître du capitalisme naissant, celle par exemple du « parasite improductif » pour reprendre une expression de Toussenel.

Le deuxième temps correspond à l'émergence des organisations ouvrières et de l'antisémitisme moderne (1880-1894). Xénophobie et nationalisme ouvriers caractérisent cette période de forte dégradation économique. La parution de La France juive d'Edouard Drumont (1886) est saluée par quelques voix à gauche et l'antisémitisme s'exprime de manière explicite chez Auguste Chirac, Jules Vallès ou encore chez Jules Guesde. Il continue de se traduire par la dénonciation des « gros » et par l'assimilation du capitalisme aux Juifs. On le rencontre dans les organisations ouvrières naissantes mais aucune d'entre elles n'en fait un élément programmatique.

L'affaire Dreyfus constitue un tournant important de cette histoire. Elle renforce la solidarité des différents courants de la gauche envers les Juifs. L'antisémitisme se déplace plus nettement à l'extrême gauche sans toutefois disparaître chez les socialistes : nombreux sont, par exemple, les membres de la CGT qui, après avoir soutenu Dreyfus, se trouvent victimes de la politique répressive d'un dreyfusard de premier ordre en la personne de Clemenceau. L'antisémitisme est également utilisé par l'extrême gauche à l'encontre de la SFIO qui clôt significativement son Congrès de 1911 par le vote d'une motion condamnant « toute lutte des races ».

L'Union sacrée qui inaugure la période suivante met entre parenthèses les manifestations antisémites. Après la guerre, il arrive que des attaques en provenance du PC à l'encontre de la SFIO s'appuient sur des préjugés, en particulier lorsqu'elles visent Léon Blum. Michel Dreyfus souligne toutefois l'absence d'affirmation des organisations dans ce domaine. Les attaques sont plutôt l'œuvre de cénacles particuliers tels que La Révolution prolétarienne où Robert Louzon demeure rivé à l'équation Juifs = capitalisme. Les années 1930 sont celles, d'après l'historien, d'une inversion des tendances. Au moment où le PC fait le choix de l'antifascisme, la SFIO connaît des remous internes causés par des manifestations de pacifisme souvent mâtinées d'antisémitisme. Elles culminent après la crise des Sudètes et témoignent de l'incapacité d'une partie...

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