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  • Les écarts de l'imagination. Pratiques et représentations de la science dans le roman au tournant des Lumières
  • Swann Paradis (bio)
Joël Castonguay-Bélanger , Les écarts de l'imagination. Pratiques et représentations de la science dans le roman au tournant des Lumières, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, coll. Socius, 2008, 371 p., 34,95$

Ne dissimulons pas d'emblée tout le bien que nous pensons de ce livre magnifiquement écrit, tiré d'une thèse de doctorat déposée en cotutelle à l'Université de Montréal et à l'Université Paris IV-Sorbonne, après avoir été soutenue en décembre 2007. Joël Castonguay-Bélanger - naguère chercheur postdoctoral à Stanford University et tout récemment nommé professeur adjoint à l'Université de la Colombie-Britannique - nous convie à une expédition intellectuelle au cœur de ces années charnières (1775-1810) en riches bouleversements idéologiques, culturels et politiques, où il se propose d'exposer la résonance littéraire que les romanciers de l'époque ont pu donner à cette « autre révolution » opérée simultanément par les savants, caractérisée entre autres par les transformations institutionnelles et sociales qui allaient accompagner la professionnalisation et l'autonomisation des champs de savoirs au XIXe siècle. Il est précisé en introduction que l'objet de l'ouvrage n'est pas de présenter l'histoire du rôle de la littérature dans la diffusion des connaissances, mais plutôt « la rencontre entre un genre littéraire en plein essor, lé E roman, et un ensemble de représentations imaginaires déterminées (ou non) par les savoirs et pratiques scientifiques de l'époque ». Ces Écarts de l'imagination visent donc un double objet : retracer les enjeux qui conditionnaient les interactions entre le roman du tournant des Lumières et la science, de même que montrer de quelle façon leur analyse peut éclairer l'histoire littéraire et intellectuelle. C'est donc comme « [i]nstrument de vulgarisation », « espace de légitimation » ou encore « laboratoire de l'imaginaire » que le chercheur propose d'aborder les rapports complexes que le roman du tournant des Lumières entretient avec la science, alors que l'organisme bicéphale et siamois qui sous-tendait la République des Lettres, chapeautant romanciers et savants, s'apprête à se scinder. Bien que les textes romanesques retenus « représentent un ensemble extrêmement varié qu'il serait [. . .] hasardeux de traiter comme un genre spécifique ou un courant fort », la richesse de l'éventail témoigne tout de même du fait que « le progrès scientifique fut discuté, célébré et fantasmé comme jamais tout au long de la décennie prérévolutionnaire », et pose sans contredit la question du rapport entre vérité scientifique et imagination littéraire d'une manière tout à fait inédite.

Le premier de cinq chapitres - « L'indésirable alliance de la science et des lettres » -, qui plaira particulièrement aux historiens des sciences, [End Page 154] vient compléter en quelque sorte l'introduction proposée par Frédéric Charbonneau (L'art d'écrire la science, Presses de l'Université Laval, 2005). Si ce dernier insistait sur le lien indissoluble entre sciences et belles-lettres qui caractérisait l'esprit d'universalité cimentant la République des Lettres au cœur du XVIIIe siècle, Joël Castonguay-Bélanger met plutôt l'accent sur la fragmentation de ce même lien au tournant du siècle, et sur la figure intellectuelle qui remplacera bientôt celle du philosophe, répondant ainsi aux impératifs d'un nouveau modèle épistémologique qui se construit : le « savant spécialiste ». Cette rupture est illustrée par « La mort de Buffon », le seigneur de Montbard étant représenté comme figure emblématique d'une époque révolue où l'on cherchait à faire bénéficier la science d'un lustre emprunté aux belles-lettres afin de rendre le savoir attrayant, figure à laquelle se substituera celle de Georges Cuvier, que Joël Castonguay-Bélanger place à juste...

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