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  • La lutte antialcoolique en France depuis le XIXe siècle
  • Myriam Tsikounas
Bertrand Dargelos .- La lutte antialcoolique en France depuis le XIXe siècle. Paris, Dalloz, 2008. 390 pages. Préface de Patrick Champagne. « Nouvelle bibliothèque de thèses ».

Dans cet ouvrage, issu d'une thèse de science politique, Bertrand Dargelos cherche à comprendre comment, en matière d'alcool, la France est passée, en un siècle et demi, d'une lutte contre un fléau touchant essentiellement les pauvres à une prévention de tous par des alcoologues, d'une théorie de la dégénérescence à une gestion individuelle des dépendances dans le cadre d'une politique publique de santé.

L'auteur commence par expliquer pourquoi, durant le second XIXe siècle, l'alcoolisme se focalise sur les classes populaires, pour dénoncer leurs modes de vie et essayer de modifier leur comportement. Il montre aussi de quelle manière, au lendemain de la guerre franco-prussienne de 1870, les élites colportent et vulgarisent les théories de Bénédict Augustin Morel pour rendre les boissons distillées responsables de la défaite des troupes françaises. Bertrand Dargelos met ensuite au jour la manière dont le pays dérive lentement d'un engagement antialcoolique, pris en charge par des associations de tempérance, à un combat mené par l'État et symbolisé par la création, en 1954, à l'initiative de Pierre Mendès France, d'un Haut Comité interministériel d'Information sur l'Alcoolisme. Il tente enfin de déterminer les raisons pour lesquelles, depuis la « loi Evin » de 1991, l'alcoolisme a perdu sa spécificité, est devenu une addiction parmi d'autres, un risque sanitaire que chaque individu doit contrôler en étant conscient de ses limites.

Bertrand Dargelos, qui s'appuie principalement sur le travail du sociologue « constructiviste » Joseph Gusfield2, explique très bien les raisons pour lesquelles boire est devenu, en France, un problème public. Ceux qui ont pris l'initiative de fonder une ligue, une revue, un comité… antialcooliques ont été entendus et relayés par la presse car leurs propos correspondaient aux préoccupations et aux sensibilités [End Page 151] du moment. Constitués en groupes de pression, ils se sont alors disputé la propriété de la « question alcool ». Les médecins l'ont emporté sur les moralistes, les juristes et les réformateurs sociaux car ils avaient déjà formé, à l'aube du XXe siècle, une institution de contrôle social qui, aujourd'hui, dicte la plupart des conduites humaines. Sous la houlette médicale, l'alcoolisme, qui avait d'abord été pensé comme une anomie et un mal social, s'est apparenté à une maladie, et l'ivrogne s'est transformé en patient alcoolo-dépendant. Dans un second temps, la lutte contre cette drogue licite a été légitimée par l'État, qui en a fait une cause nationale, mais l'a reformulée et simplifiée en fonction de ses besoins, de ses priorités et surtout de ses paradoxes. La production d'alcool rapporte beaucoup d'argent au ministère de l'Agriculture qui l'encadre, mais la maladie alcoolique coûte très cher au ministère de la Santé ; les dirigeants politiques doivent à la fois combattre l'alcoolisme et soutenir la viticulture qui fait vivre, en moyenne, près d'un million de Français. Comme il leur faut contrôler la consommation d'alcool des individus sans pour autant en interdire la fabrication et la circulation, ils ont choisi d'opposer subtilement bons et mauvais alcools, d'encourager le recul des vins de table, de piètre qualité, et les progrès des appellations d'origine contrôlée, ils ont favorisé l'usage modéré des boissons fermentées — n'hésitant pas à créer un Comité national de la propagande en faveur du vin — et dénoncé l'abus des boissons distillées. Dans cette étude, Bertrand Dargelos parvient aussi à prouver, avec brio, que le processus d'auto-responsabilité, annoncé par Norbert Elias, s'est réalisé en France à l'aube du troisi...

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