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  • Ceci n'est pas Un homme qui dort
  • François Bizet

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Fig. 1.


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Fig. 2.

On connaît la suite de ces images fascinantes du film de Dreyer, Vampyr (Fig. 1 and Fig. 2),1 mais je voudrais seulement relever, au seuil de cet article, la grâce du dédoublement: une silhouette se détache d'un corps assoupi et s'élance dans l'espace. Ce pur moment de cinéma m'est revenu lorsque j'ai lu les premières pages du livre de Georges Perec, Un homme qui dort, et surtout lorsque j'ai vu le film qu'il en avait tiré.

Tu ne bouges pas. Tu ne bougeras pas. Un autre, un sosie, un double fantomatique fait, peut-être, à ta place, un à un, les gestes que tu ne fais plus: il se lève, se lave, se rase, se vêt, s'en va.2

Tout au long du récit, le personnage ne dérogera que très peu à ce programme d'inaction. De ce moment où il décroche, sa vie ne sera plus que repli raisonné et systématique, jusqu'à complète désolidarisation des milieux estudiantin et familial, et du corps social tout entier. Au cinéma, Perec a choisi de montrer cet instant fatal en filmant les gestes quotidiens (virtuels) de l'étudiant, et en les opposant à son immobilité [End Page 39] (réelle). L'hypothèse du double est rendue, visuellement, par la succession de séquences contradictoires, opposant précipition vers la salle d'examens, et immobilité dans la chambre de bonne, et c'est sur ce plan3 qu'est lu le texte cité.


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Fig. 3.

Il apparaît alors que le tableau de Magritte—complètement absent du livre, précisons-le—est chargé de figurer le phénomène du dédoublement et du devenir-autre du personnage (Fig. 3). Mais est-ce là sa seule fonction? N'est-il pas aussi l'indice, dans l'image même, du devenir-film du texte? Comment Perec, en effet, passe-t-il d'une œuvre à une autre, du livre au film, d'Un homme qui dort à Un homme qui dort? En regardant cette image, on pourrait dire ceci: une œuvre se détache d'une autre et s'en va mener sa vie propre, car il faut bien consentir à n'être plus soi-même quand on est hors de soi. Une œuvre se détache d'une autre—la même—qui la précédait dans le temps: c'est la même et c'est une autre, ainsi que l'indique la reproduction dans la chambre d'étudiant du tableau justement intitulé: La Reproduction interdite.

Une œuvre se détache, en images, d'un texte, et il n'est pas sans intérêt que cet adieu lui soit signifié par une image fixe et muette, sorte d'abîme pétrifié: impossible désormais de se regarder en face, de se renvoyer mutuellement la même image—le visage, garant de l'identité. L'homme du tableau ne se voit plus dans le miroir que de dos, comme près de prendre congé, de se désamarrer de soi, de s'exiler. [End Page 40]

Qu'est-ce que l'histoire de l'homme qui dort? C'est celle d'une démission, d'un renoncement au monde, l'histoire d'un détachement. Or le détachement, au sens d'une séparation de corps, serait aussi au cœur de l'acte de création. La voix off en charge de la narration est celle d'une femme. Aucune des explications de Perec sur les raisons d'un tel choix n'éclaircira le mystère de cette incarnation féminine.4 Mais l'étrangeté de cette présence vocale vient surtout redonner vie à une autre image, fondatrice, celle d'une naissance, ou plutôt d'une création, par laquelle un corps neuf est extrait d'un corps qui a déjà été créé: Eve, née d'une c...

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