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  • Stealing Indian Women: Native Slavery in the Illinois Country
Stealing Indian Women: Native Slavery in the Illinois Country. Carl J. Ekberg. Urbana: University of Illinois Press, 2007.

Carl J. Ekberg est l'un des rares historiens américains à poursuivre des recherches sur le Pays des Illinois, région située au cœur de l'Amérique du Nord, au point de rencontre entre le Canada et la Louisiane. Depuis vingt-cinq ans, il explore sous différents angles l'histoire de [End Page 343] la haute vallée du Mississippi : histoire générale de Sainte-Geneviève, village fondé par les Français, monographie du système agraire et de l'agriculture commerciale du poste et biographie de François Vallé, un éminent colon de Sainte-Geneviève. Il en est ainsi venu à connaître toutes les subtiles nuances des archives de la région.

Son dernier ouvrage porte sur l'esclavage des Amérindiens, thème qui suscite un intérêt croissant chez les historiens nord-américains, comme en témoignent les travaux de Juliana Barr, James F. Brooks, Allan Gallay, Brett Rushforth, ou encore Joyce Chaplin. Ce souci de varier les approches et les méthodes se retrouve dans la manière dont Ekberg traite son nouveau sujet. La première partie est consacrée à une étude générale du phénomène au cours du xviiie siècle, et la seconde s'intéresse à une affaire judiciaire particulière survenue en 1785 et qui mettait en cause un voyageur métis et plusieurs esclaves amérindiennes. Tout comme on peut s'étonner que cette thématique de l'esclavage amérindien n'ait pas déjà été explorée plus en détail dans les précédents ouvrages et articles de Carl J. Ekberg, étant donné son importance au Pays des Illinois, on peut regretter que l'auteur n'ait pu cette fois fusionner les deux parties, ce qui lui aurait permis de procéder à un véritable exercice de microhistoire.

Dans la première partie du livre, l'auteur cherche done à expliquer, tout en mettant en évidence ses particularités, le développement de l'esclavage des Amérindiens au Pays des Illinois sous le régime français et son maintien durant la période espagnole, malgré son interdiction formelle par la monarchic catholique de l'esclavage des Amérindiens au Pays des Illinois. Il établit ainsi une association étroite – c'est la thèse principale du livre – entre métissage et esclavage des Amérindiens. Face à des administrateurs français dont plusieurs auraient souhaité climiter l'esclavage amérindien pour des raisons géopolitiques et qui condamnaient de plus en plus les manages franco-amérindiens célébrés par les missionnaires au Pays des Illinois depuis le début du xviiiie siècle, le phénomène se serait développé et poursuivi en raison des demandes des colons et des soldats du poste, une majorité des esclaves étant des femmes susceptibles de servir de partenaires sexuelles, voire même de concubines. De fait, quelques colons n'hésitèrent pas à affranchir et à épouser leurs esclaves amérindiennes. L'auteur en conclut qu'une très grande fluidité existait dans les statuts et les relations entre les personnes libres et les esclaves, d'une part, et entre Français, Amérindiens et Métis, d'autre part.

Cette explication des origines de l'esclavage des Amérindiens pose certains problèmes. Tout d'abord, elle ne tient compte que du seul point de vue des Français, sans s'intéresser à celui des Amérindiens, [End Page 344] comme si ces derniers ne jouaient aucun rôle essentiel et ne défendaient pas leurs propres intérêts parce qu'ils participaient au commerce d'esclaves autochtones avec les Français. En outre, elle passe sous silence le fait que le statut libre ou esclave des femmes amérindiennes partageant des relations sexuelles ou conjugales avait des conséquences pour les deux parties, puisque les femmes esclaves coupées de leurs communautés ethniques d'origine ne pouvaient pas, par exemple, épouser des Français, et que nombre de leurs enfants demeuraient dans la servitude.

Enfin, s'il établit ponctuellement des comparaisons entre les esclaves autochtones et africains (nombre, valeur marchande, fréquence des baptêmes et des mariages), Carl J. Ekberg ne pense pas aux deux esclavages conjointement, comme si le développement rapide de l'esclavage des Africains, autant en Basse-Louisiane qu'au Pays des Illinois – phénomène qui distingue la vallée du Mississippi du Canada – n'aurait eu aucune répercussion sur la relation et la conception que les Français, puis les Espagnols, attribuaient à l'esclavage des Amérindiens, et sur les conditions de vie et de travail des esclaves autochtones. L'inventaire après décès montre pourtant que les esclaves africains ou amérindiens vivaient dans les mêmes types de logements à l'arrière de la parcelle et partageaient même parfois les mêmes cabanes. Cette intimité au quotidien, qui a certainement aidé les esclaves à maronner collectivement à l'occasion, rend problématique la démarche qui consiste à s'intéresser aux uns sans tenir compte des autres et à mettre en évidence les différences entre les deux esclavages sans prêter également attention aux points communs. Il est aussi à noter que la thèse de l'auteur le conduit à accorder peu d'importance d'une part aux esclaves autochtones de sexe masculin et, d'autre part, au travail servile. Certes, les femmes autochtones ne travaillaient pas aux champs, mais comme domestiques, chez les Français. Elles n'étaient pas pour autant libres et n'en étaient pas moins exploitées doublement pour leurs attraits sexuels et leur acharnement au travail.

La seconde partie du livre est consacrée à une affaire judiciaire déclenchée par l'enlèvement et le meurtre présumé d'une esclave amérindienne. Elle révèle les liens étroits qui unissaient les habitants des deux rives du fleuve, sous souveraineté anglaise et espagnole, une intense sociabilité interethnique et interraciale, la grande liberté de mouvement des esclaves, ainsi que le fort métissage existant entre les esclaves d'origine amérindienne et les hommes libres, Blancs ou Métis. Pour toutes ces raisons, Carl J. Ekberg insiste à maintes reprises sur le caractère singulier de la société et de la culture du Pays des Illinois, qu'il qualifie même d'exotiques (par ex., p. iii) en raison de [End Page 345] la fluidité des relations interethniques et interraciales, caractéristique selon l'auteur de la frontière franco-espagnole. Une comparaison avec l'esclavagisme d'autres sociétés, notamment avec l'esclavage urbain de La Nouvelle-Orléans, et la vie dans des villages rapprochant le système esclavagiste du Pays des Illinois de ce type d'esclavage, aurait peut-être permis à l'auteur d'éviter cet exceptionnalisme qui obscurcit plus qu'il n'illumine les relations interethniques et interraciales en Haute-Louisiane.

Cécile Vidal
École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris)

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