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  • L'État des esprits. L'invention de l'enquête politique en France (1814-1848)
  • Thomas Bouchet
Pierre Karila-Cohen .- L'État des esprits. L'invention de l'enquête politique en France (1814-1848). Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2008, 402 pages. « Carnot ».

Pierre Karila-Cohen est aujourd'hui l'un des historiens qui contribuent le plus activement à sortir les années de monarchie constitutionnelle de la relative pénombre qui les enveloppait, à les dégager d'interprétations floues ou partisanes. Un peu plus [End Page 154] de quatre ans après avoir soutenu un doctorat très remarqué sur la surveillance et la mesure de l'opinion publique entre 1814 et 1848, il livre ici un ouvrage décisif qui en reprend l'essentiel et en affine certaines propositions. L'objet de l'étude n'était pas facile à circonscrire. Pierre Karila-Cohen choisit l'expression « enquête politique », qui ne se trouve pas dans les sources, pour caractériser les enquêtes de la Restauration et de la monarchie de Juillet sur « l'opinion publique », ou « l'esprit public », ou « l'état des esprits », ou encore la « situation morale et politique ». Il appuie son enquête sur un vaste corpus de sources, qu'il met à contribution avec beaucoup de rigueur et de virtuosité. S'inscrivant dans le sillage du Déchiffrer la France. La statistique départementale à l'époque napoléonienne de Marie-Noëlle Bourguet (1988), il montre que les rapports administratifs ne sont pas simplement un « support documentaire », mais bel et bien « un objet d'histoire à part entière ». Il décrypte les logiques de séries que les chercheurs utilisent souvent, mais ne maîtrisent en définitive qu'imparfaitement : aux Archives nationales la série F avant tout (ministère de l'Intérieur) mais aussi la série BB (ministère de la Justice) ; au Service historique de l'armée de terre les séries chronologiques ; aux Archives départementales de la Dordogne, de Seine-et-Oise et du Vaucluse la série M. S'y ajoutent plus de cent cinquante brochures, pamphlets, mémoires, correspondances, témoignages. L'ensemble compose un « immense texte collectif » (p. 308), matière vive du livre. À partir de ce corpus considérable, Pierre Karila-Cohen met pour la première fois en lumière un tiers de siècle d'enquêtes politiques. Les tableaux, encadrés et cartes qui parsèment l'ouvrage, tableau récapitulatif – « Les enquêtes politiques (1814-1848) » –, mais aussi cartes d'itinéraires et chronologies d'enquêtes, listes de fonctionnaires enquê-teurs ou de leurs interlocuteurs dans les départements, lettres et circulaires admi-nistratives, seront pour les chercheurs des outils de travail extrêmement précieux. Des développements remarquables sont consacrés à des enquêtes jamais étudiées (l'étude sur celle des délégués de police, en juillet-décembre 1814, est un modèle du genre), ou mal connues. Pierre Karila-Cohen excelle à caractériser les moments forts et les inflexions majeures de cette histoire. Il fait connaître la pensée et l'action d'un grand nombre d'administrateurs célèbres ou plus obscurs (l'index des noms, en fin de volume, en témoigne). Il reconstitue plusieurs « chaînes d'information », du juge de paix au procureur du roi, du maire au préfet. Il éclaire le rôle des ministères concernés : Intérieur, Police générale. De tout cela se dégagent plusieurs idées essentielles. On peut effectivement parler d'« invention » de l'enquête politique sous la monarchie constitutionnelle, même si des pratiques apparentées sont déjà repérables auparavant (voir le chapitre II), même s'« il est difficile de parler d'invention en histoire administrative tant les pesanteurs bureaucratiques établissent de fait une continuité entre les responsables successifs » (p. 221), même si on est plutôt tenté de parler d'une grappe d'innovations que d'une invention au singulier. Dans cette dynamique, les années 1814-1848 ne forment pas un ensemble homogène : après une première partie d'ouvrage thématique...

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