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Reviewed by:
  • La Condition Noire. Essai sur une minorité française
  • Claire Ducournau
Pap Ndiaye . La Condition Noire. Essai sur une minorité française. Paris: Calmann-Lévy, 2008. 435 pp.

Se démarquant des livres parus dans l'urgence sur "la question noire", La Condition Noire travaille à fonder les Black Studies dans l'université française par une recherche historique et sociologique de longue haleine, résolument politisée. Davantage tournée vers les minority studies que vers les cultural studies, celle-ci se livre à une analyse des discriminations et des dispositifs qui les favorisent ou les empêchent, davantage qu'à celle des pratiques ou des objets culturels. Selon Pap Ndiaye, les travaux culturalistes et postcoloniaux de Paul Gilroy s'appliquent mal au contexte français, où les Noirs semblent plus attachés à leur pays qu'à une diaspora transatlantique. Certaines directions sont cependant empruntées à ce type d'études, comme l'idée que les niveaux d'analyse national et colonial doivent s'encastrer.

A rebours d'une tradition sociologique française qui, une fois écarté le racisme biologique et déconstruit le racisme culturel, donne la prévalence aux divisions de classes sociales, l'auteur, américaniste, s'appuie sur des références qui travaillent les notions de stigmate, d'interaction ou de minorité raciale—E. Goffman, F. Fanon, W. E. Du Bois, A. Césaire, L. Wirth—et sur des travaux d'historiens dont toute la mesure n'aurait pas été prise—William Cohen, Philippe Dewitte. La condition noire est une assignation subie sur la durée: le fait d' "être considéré comme noir à un moment donné et dans une société donnée," en raison d'un phénotype fait de "saillances phénoménales [End Page 163] variables dans le temps et dans l'espace"(38). Si, comme la belle préface de Marie NDiaye le suggère, les effets biographiques et psychologiques de cette apparence sont toujours subtilement négociés par des individus, certains d'entre eux, collectifs et illégitimement fondés sur ce critère, gagnent à être révélés et combattus.

L'investigation empirique combine des lectures et une réflexion théorique, des entretiens avec soixante-dix personnes, une participation au monde des associations noires pendant quatre ans, et, enfin, une analyse de l'enquête par questionnaires TNS-Sofres réalisée pour le compte du Conseil Représentatif des Associations Noires. Véritable chantier, le livre synthétise des savoirs existants, et lance des pistes de recherche encore inexplorées, jusqu'à la déconstruction de l'idéologie de la "blancheur"(89). Ces thèmes ne font que préciser le diagnostic liminaire d'un retard français concernant les African European Studies, pourtant en cours de constitution dans d'autres pays d'Europe. Ce dé-lai national est corrélé à différents obstacles1, que l'ouvrage cherche à contrer. Des emprunts conceptuels à Tommie Shelby le structurent ainsi autour du choix d'une identité "fine," plus petit dénominateur d'une communauté, non de culture, mais d'intérêt, nettement préférée à sa variante "épaisse". Cette forte métaphore permet d'éviter conjointement le "piège de l'essentialisme"(366), exemplifié par L. S. Senghor, et une "position morale"(35) niant par antiracisme une réalité moins noble—l' "erreur"(60) de Jean-Paul Sartre, faisant des Noirs une invention raciste vouée à disparaître.

Organisé en six chapitres, le livre s'ouvre sur une présentation théorique et terminologique. Un état des lieux est ensuite dressé des préjugés de couleur: une dépréciation esthétique et sociale est attachée jusqu'à aujourd'hui au phénotype noir. Le troisième chapitre contextualise l'arrivée des différentes populations noires sur le territoire métropolitain. Dès la fin du 19ème siècle, "une différence sociologique importante entre les Antillais, installés dans la classe moyenne éduquée, et les Africains prolétaires" complique les tentatives de "solidarité intercoloniale"(127). La présence africaine s'enrichit progressivement de celle des tirailleurs puis, après la Première Guerre Mondiale, d'étudiants venant plus souvent...

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