Une possible histoire de la norme. Les normativités émergentes de la mondialisation (review)

La mondialisation, en tant que phénomène sociologique mettant en scène une multiplicité de nouveaux rapports se nouant entre acteurs privés et publics au sein du village global, constitue sans aucun doute la variable indépendante de la recherche qu'a menée Karim Benyekhlef aux fins de la rédaction de son ouvrage, Une possible histoire de la norme. Les normativités émergentes de la mondialisation. Plus précisément, c'est dans ses rapports avec le droit et les normativités en évolution que le phénomène est mis en perspective, révélant ainsi la pertinence de la question centrale relative à la capacité exclusive du souverain de dire le droit. La principale contribution de cet ouvrage est de proposer, à travers une lecture pluraliste des normativités émergentes, enracinée dans une trame historique remontant au Moyen-Âge, que l'État n'est pas le détenteur exclusif des leviers normatifs dans un contexte de mondialisation.

En faisant sienne la posture théorique du pluralisme juridique, clairement affirmé par le choix de son objet d'étude : la norme, le professeur Benyekhlef démontre avec acuité les limites heuristiques du modèle imposé par le positivisme juridique pour rendre compte des réalités normatives contemporaines. Dans cette perspective, l'État, marqué par l'érosion de sa souveraineté et son interdépendance accrue, demeure, selon l'auteur, certes un acteur central de la production normative, mais qui oeuvre en parallèle, en collaboration ou en juxtaposition avec d'autres foyers normatifs. Les trois parties de l'ouvrage, consacrées respectivement à la norme prémoderne, à la norme moderne et à la norme post-moderne, tendent d'ailleurs à démontrer que le monisme juridique associé à la modernité formerait davantage une parenthèse que la trame théorique de base plus profondément ancrée dans des figures polycentriques, hybrides, fragmentées, et entrelacées, typiques du pluralisme juridique.

Consacré à la norme moderne, le titre I s'intéresse aux caractéristiques et aux limites du droit positif émanant de l'État souverain et destiné à régir en toute exclusivité un territoire. L'auteur met d'abord en lumière l'étau que le positivisme juridique enserre sur le droit moderne en le privant de toute capacité d'adaptation à l'égard des phénomènes que crée, stimule ou exacerbe la mondialisation qui ébranle l'édifice de la souveraineté. Confiné à ses caractéristiques classiques, le droit moderne, abstrait, neutre, hiérarchisé, autonome et contraignant, apparaît dans toute sa superficialité. L'avènement de nouveaux modes de gouvernance au sein d'États de plus en plus réflexifs, tendant à valoriser des formes de droit négocié et consensuel au profit d'une efficacité accrue, démontre également l'incapacité des catégories juridiques du droit moderne à nommer et expliciter les modèles régulatoires qui font jour au sein même des frontières étatiques. Pour éliminer cet enfermement, le pluralisme juridique apparaît comme une ouverture vers des horizons normatifs permettant au droit moderne de maintenir son existence dans un climat marqué par une pluralité des sources de production normative.

Ensuite, les limites de la norme moderne sont abordées et font ressortir la forte prégnance des droits internationaux au sein des ordres juridiques étatiques. D'un modèle où l'État indépendant accepte lui-même de se lier, on observe la concrétisation de schémas où la pénétration normative dans les domaines réservés de l'État opère sans son consentement explicite. Tant au niveau des droits de la personne qu'au niveau du droit commercial international, ces jeux d'intégration sont marqués par la multiplication des relations internationales et la prolifération d'acteurs publics et privés.

Le titre II, consacré à la norme prémoderne telle qu'elle existait au Moyen-Âge, propose un survol historique de cette p...