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  • Les ingénieurs des âmes en chef. Littérature et politique en URSS (1944–1986)
  • Andreï Kozovoï
Cécile Vaissié. – Les ingénieurs des âmes en chef. Littérature et politique en URSS (1944–1986). Paris, Belin, 2008, 515 pages. Préface de Claude LEFORT. « Littérature et politique ».

Après s’être penchée sur le destin des dissidents soviétiques9, Cécile Vaissié, spécialiste du monde intellectuel russe et soviétique, étudie cette fois leurs alter ego du monde des belles lettres : les dirigeants et les auteurs reconnus par le pouvoir de l’Union des écrivains (UE), créée en 1934. Obéissant à des impératifs politiques de création d’un homme nouveau (d’où le nom que leur donne Staline, « les ingénieurs des âmes »), le monde officiel des écrivains soviétiques demeure aujourd’hui encore largement méconnu10. À l’opposé des schémas explicatifs simplistes opposant l’État à sa société, Cécile Vaissié montre la place ambiguë des dirigeants de l’UE qui oscillent entre les deux mondes. Elle dépeint l’extrême variabilité des destins – les persécutés se muant en persécuteurs au gré du contexte ; et des rituels – de l’autocritique à l’excommunication. L’ouvrage, fondé sur un corpus important d’archives inédites, s’inscrit dans un cadre chronologique volontairement incomplet, entre l’année 1944, celle du fameux Plénum de février11, et 1986, l’année du VIIIe Congrès de l’UE, le « Congrès de la perestroïka ». Des années considérées comme un « âge d’or » de l’institution-instrument du Parti. Le récit est animé par des biographies croisées des dirigeants de l’UE de l’URSS (Fadeïev, Tikhonov, Sourkov, Fédine, Markov), de l’UE de Russie, créée en 1958 (Soboliev, Mikhalkov), et de l’UE de Moscou, créée en 1955 (Fédine, Markov, Mikhalkov). Entre autres protagonistes.

Le « dressage des écrivains » débute en 1905 par un célèbre article de Lénine qui définit une « littérature de Parti », avant de culminer en février 1944. Cécile Vaissié rappelle utilement la généalogie de l’UE, les différentes étapes de ce « dressage » qui passent par l’instauration d’un monopole d’État sur l’édition, le développement de la censure, les persécutions des esprits libres, les arcanes administratifs de l’institution. Alexandre Fadéïev, remarqué en 1926, alors qu’il n’a que vingt-cinq ans, devient rapidement un n°1 incontournable de l’UE, défenseur de la politique impitoyable de Staline. L’auteur de La Jeune garde n’en tombe pas moins dans un état de semi-disgrâce en 1944, cédant la place à Nikolaï Tikhonov, un auteur beaucoup plus apprécié par ses pairs. Les vis se resserrent à partir de 1946, année marquée notamment par le renforcement du pouvoir du GlavLit, le bras armé de la censure. Emportée dans le tourbillon de la Guerre froide (que malheureusement Cécile Vaissié n’évoque pas), l’UE est sommée de se montrer plus « idéologiquement cohérente », de mieux surveiller ses ouailles. Tandis que Fadéïev revient sur le devant de la scène en redevenant n°1 de l’institution, son alcoolisme le rend imprévisible, et Staline le flanque d’un jeune adjoint déjà célèbre, le poète Konstantin Simonov. L’auteur de La Question russe, une pièce antiaméricaine dans l’air du temps, fait désormais partie non seulement de l’élite des écrivains soviétiques, mais de l’élite tout court – tant ses revenus et ses privilèges sont ahurissants. Mais Staline sait manier aussi bien la carotte que le bâton. Par un jeu de campagnes savamment orchestrées, il montre aux écrivains à quel point ils dépendent du pouvoir. Par ricochet, ceux-ci orchestrent des procès spectacles au sein de l’UE, et la confusion des valeurs est telle [End Page 136] (ou au contraire, les sphères privée et publique séparées de manière si...

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