University of Toronto Press

Publiée sans interruption depuis 1979, The Tocqueville Review/La Revue Tocqueville a accompagné la résurgence du « tocquevillisme » dans le champ intellectuel français et américain. Toutefois, elle l'a fait selon des modalités particulières qui dessinent une identité savante et des exigences qu'il nous faut poursuivre : insistance sur l'importance de la perspective comparatiste chez Tocqueville et intérêt pour les enjeux de la traduction (d'où la proximité avec de grands traducteurs comme Arthur Goldhammer), historicisation des multiples usages et de la réception de l'oeuvre des deux côtés de l'Atlantique (manifeste dès l'article inaugural de Raymond Aron « Tocqueville retrouvé »), et surtout, défense d'une certaine érudition qui puisse faire pièce aux idéologues trop pressés d'instrumentaliser leur « grand homme », pluralisme idéologique et priorité intellectuelle à la complexité, aux ambivalences et aux aspects les plus déroutants de la pensée de Tocqueville. The Tocqueville Review/La Revue Tocqueville n'est pas la revue de la « vulgate tocquevillienne ».

La revue, depuis l'origine, s'est définie beaucoup moins comme une revue consacrée à l'oeuvre de Tocqueville que comme une revue de méthode et d'esprit tocquevilliens dans les champs de la sociologie, de la science politique ou de l'histoire. Tout en conservant une rubrique de « Tocquevilliana », la variété même des interprétations de Tocqueville montrant l'intérêt fondamental de son oeuvre aujourd'hui, la revue devrait renforcer cette dimension et mieux identifier deux axes principaux qui, dans le champ des sciences sociales, peuvent lui donner sa physionomie particulière : celui du comparatisme euro-atlantique (et pas seulement franco-américain) et celui de la dynamique des circulations transatlantiques dans la construction des cultures et des savoirs.

Le premier utilise les instruments déjà bien rôdés d'une histoire comparée, essayant de comparer le comparable, qu'il s'agisse des [End Page 5] politiques urbaines, des évolutions constitutionnelles, et parfois comparer le plus difficilement comparable, comme la catégorie de statistique ethnique et ses effets dans les champs sociaux et politiques où elle s'applique. The Tocqueville Review/La Revue Tocqueville, très internationale dans la composition de son comité éditorial, est particulièrement armée pour mener ces enquêtes nécessaires à la compréhension du fonctionnement de nos sociétés.

Par ailleurs, et de façon plus ouvertement prioritaire, nous voudrions contribuer à une histoire transnationale en marche qui, au delà du comparatisme, insiste davantage sur les phénomènes de transferts, d'emprunts, de greffes, d'acculturations, de métissages dans la fabrication de notre modernité. Cette mondialisation des savoirs et des cultures qui n'est pas réductible à l'histoire contemporaine, s'accélère néanmoins selon une chronologie qu'il reste à définir, par une multiplication des contacts et des modes de diffusion. De même, elle ne se limite pas non plus à l'espace transatlantique que nous ne nous interdirons pas de dépasser, même s'il reste le terrain empirique de départ de la plupart d'entre-nous. C'est à ce double élargissement nécessaire que nous nous appliquerons, combinant les échelles micro et macro, afin de mieux saisir cette « conversation transatlantique » qui peut aussi bien se décliner en dialogue entre le monde occidental et d'autres sphères culturelles, pour produire le savoir mondial d'aujourd'hui. Comme pour les études de Tocqueville, ces montées en généralité ne sont possibles et souhaitables qu'en présence d'études empiriques précises et informées dont nous souhaitons qu'elles restent une des marques de fabrique de la revue.

Ce programme de recherche et de publication, à la fois ancien et nouveau, ne peut que bénéficier d'un adossement institutionnel plus explicite à Sciences Po. En effet, la politique scientifique de l'établissement, récemment redéfinie, se concentre sur des questionnements épistémologiques similaires. Par ailleurs, l'internationalisation voulue, dans les compétences et le recrutement des chercheurs à Sciences-Po, est un horizon depuis longtemps réalisé dans la revue, dans une perspective très franco-américaine, qu'il faudra diversifier. [End Page 6]

Emmanuelle Loyer
Directrice de la publication
Professeure au Centre d'Histoire de Sciences Po

Share